Un assassinat sur commande (3)

Une horloge sonna huit coups, résonnant dans une chambre, tel un appel à la mort. L'homme enseveli dans ses couvertures dut affronter la plus dure épreuve à laquelle il était confronté chaque matin, sentant l'approche de sa fin à chaque fois grandissante. Un grognement grincheux témoigna de la difficulté omniprésente de ce défi impossible : se lever le matin à une heure définie. Foenix ôta lentement ses couvertures en ne se servant que des jambes, puis leva le haut du corps avec la rapidité d'un gastéropode devant monter le long d'une tige de rose emplie d'obstacles. Il était finalement assis sur le bord de son lit, les cheveux en bataille doublée en volume, des valises sous des yeux asymétriquement semi-ouverts témoignant d'un réveil forcé, les sourcils froncés marquant l'agacement que lui procurait l'interruption de son sommeil, si précieux. Le succès qu'il remporta face à l'épreuve la plus dure de la journée ne sembla pas le satisfaire. Après avoir lancé un "Bon sang..." dans le vide, l'Orzhov se leva pour commencer à se préparer pour affronter les prochains défis qui l'attendaient.
Après avoir déjeuné et s'être fait une beauté, le marchand semblait un tout autre homme. On reconnaissait à présent toute sa prétention dans le soin qu'il avait pour son apparence. Il se tenait à présent torse nu devant le miroir de son salon. Celui-ci avait un cadre rectangulaire orné d'une décoration dorée digne d'un orfèvre. Accroché dans le coin de ce portail menant à une pâle copie du monde réel, un masque blanc aux traits privés d'émotion fixait Foenix avec un regard vide. L'Orzhov ne prêta aucune attention à cet espion silencieux et s'adressa à son reflet dans le miroir comme il le ferait avec une personne de chair.

« Nous voilà dans une situation bien agaçante... qu'est-ce qu'on fait ? »

L'assassin lui répondit par la même bouche que son alter-ego.

« Nous n'avons que deux possibilités : les Quartiers Neutres ou le marché. »

Commença ainsi une discussion entre les deux personnalité de cet individu. Il était conscient qu'en lui cohabitait deux esprits. C'est d'ailleurs Foenix qui créa Masque de Lune. Cette volonté à faire en sorte que l'identité de l'assassin ne soit pas révélée créa en quelque sorte la deuxième personnalité. De cette façon il se forçait à avoir toujours deux points de vue différents, pour choisir objectivement la solution la plus appropriée.

« Les Quartiers Neutres sont une voie sans issue. C'est une zone trop vaste pour espérer trouver quelqu'un qui est peut-être ailleurs. À mon avis, notre seule solution est d'espérer trouver le tailleur où la semi-elfe à commandé son habit. »

« C'est très aléatoire comme solution. Les chances que cet homme se souvienne d'une cliente sont déjà minimes. Et même en admettant qu'il s'en souvienne, tu crois vraiment qu'il dirait à un parfait inconnu tout ce qu'il sait sur sa cliente ? C'est une perte de temps. »

« Mais c'est notre seule issue... C'est la seule piste que nous ayons. Je peux peut-être trouver une excuse convaincante pour qu'il nous livre des informations. »

L'assassin sembla se laisser convaincre. Ce qui permit à Foenix de passer à la suite. Sur le meuble qui se tenait sous son miroir était posé le masque qui lui fut offert par l'intermédiaire de son commanditaire. Avec une certaine prudence, il le prit et le posa lentement sur son visage. Il put alors admirer la métamorphose : son nez grec devint plus aquilin, sa mâchoire s'élargit, ses sourcils devinrent plus épais tout en se fronçant et sa lèvre inférieure prit de la prédominance. Ses yeux étaient restés du même bleu que d'habitude, il était néanmoins satisfait du résultat. Bien qu'il aurait apprécié de garder sa barbiche, au lieu de ce visage si imberbe. Il sauta sur ce détail pour finir de se préparer. Il enfila une chemise, suivie de son plastron et finit par son long manteau sombre. Il fixa un moment son épée posée debout dans un coin de la pièce jugeant de la nécessité de la prendre avec. Il estima qu'elle aurait une conséquence surtout négative, considérant son manque de discrétion, et se contenta donc de ranger sa dague dans sa ceinture et de laisser sa deuxième arme dans son salon. Il laissa également son masque. Enfin, il n'oublia pas le dessin de la Golgari qu'il mit dans une poche interne de son manteau. Il sortit enfin dans cette douce matinée ensoleillée en direction du Marché de Ravnica.
Il ne devait être que neuve heure, lorsque l'Orzhov arriva dans le vaste marché, mais le brouhaha ne manquait jamais. Toutes sortes de personnes, de guildes différentes, y étaient présentes. Que ce soit de simples curieux, des soldats, des assassins, des guerriers, des herboristes, des savants, ou de simples commerçants à la recherche de l'affaire en or qui leur rapporterait le gros lot. Foenix passa devant l'une de ses armureries, celle de son père adoptif Palos. Mais aujourd'hui il n'était pas un armurier et ne voulait pas acheter une quelconque arme. Il n'adressa donc qu'un simple et rapide regard à la boutique, puis repartit.
Il arriva enfin là où il avait l'intention d'arriver. Chez un tailleur. Il entra dans sa boutique et admira ses produits, à la recherche peut-être d'un habit féminin. Son intention était d'interroger le marchand, mais il ne s'adressa pas tout de suite à lui. Il préféra attendre que ce soit lui qui lui adresse la parole en premier. Ainsi, il aurait l'air moins suspect.

* Surtout qu'avec cette tête j'ai vraiment l'air d'un officier Boros... *

* Le rideau vient de se lever. À présent, mon ami, admire le spectacle !*

Foenix se tourna vers le diablotin. Bien qu'il portait un masque physique, celui-ci ne suffirait guère. Il lui fallait également dissimuler son identité. Ce n'était plus un marchand Orzhov. Il devait créer une nouvelle personne, afin qu'elle le cache. Et il se trouvait qu'il savait exactement comment faire. Il conseilla déjà à son alter-ego de prendre place, de se mettre commode et d'admirer la scène qu'il allait jouer. La créature volante faisait parti des comédiens. Seul un petit problème se posait : elle ne jouait pas la comédie, ignorait qu'elle était sur une scène et d'être observée par un public. Oui, celui qui joue au mieux la comédie est celui qui ignore d'être comédien.
Ainsi, Foenix, tenant le rôle principal, prit la parole, afin de répondre à son interlocuteur. D'une voix calme et sereine, il imitait à la perfection la tonalité du petit client. Mais étant donné que celui-ci avait quelque chose à cacher, par moment elle semblait trembloter. Par chance, ce détail n'était pas forcément perceptible par tous.

« Bonjour à vous ! Effectivement, vous me seriez fort utile. Ces vêtements sont d'une splendeur sans égal, je vous félicite ! » il balaya d'un geste du bras les costumes qu'il regardait tout à l'heure. « Cependant, je ne suis pas venu ici pour moi, mais pour ma nièce. »

Il sortit le dessin de la semi-elfe de la poche interne de son manteau et la tendit au diablotin. Après quoi, il reprit.

« Voyez-vous, je suis artiste ambulant. Je me pose ça et là dans la cité, principalement dans le quartier neutre ou Orzhov, et vend à prix modeste les portraits des passants intéressés. L'autre jour, une jeune femme s'est arrêtée et a demandé mes services. J'ai été surpris par la beauté sans égal de sa robe. Etant donné que le jour d'anniversaire de ma nièce s'approche, je désirais lui offrir cette oeuvre d'art de la couture. La jeune femme me dit avoir acheter son vêtement ici, dans cette boutique. Avant qu'elle ne parte, je lui ai demandé si elle pouvait encore poser pour moi, le temps que je fasse un deuxième portrait de sa personne, le premier lui étant évidemment légué. Ma question est donc la suivante, vous souvenez-vous avoir un jour vendu une robe à cette femme ? Je n'ai pas bonne mémoire, je me souviens donc mal à quoi elle ressemblait, vous voyez ? Pourriez-vous m'aider, s'il vous plaît ? »

Dans son esprit, l'assassin resta perplexe. Il était surpris que Foenix raconte une histoire aussi insensée, sans queue ni tête. Qui pourrait gober une telle idiotie ? Si cet artiste savait de ne pas avoir une mémoire de fer, pourquoi ne pas avoir dessiné la robe au lieu du visage de sa propriétaire ? Ça n'a aucun sens ! Ses doutes furent plus ou moins éclaircis par le marchand. Son plan était très précis. Une voix un peu tremblotante, une histoire assez absurde, tout ceci apporte à une seule et unique conclusion : un mensonge. Il espérait bien que le diablotin se rende compte que cet homme lui racontait des histoire. Au tel cas, la première scène de son acte serait accomplie avec succès, et la deuxième pouvait aisément commencer. Le problème, quand un acteur ignore qu'il joue la comédie, est qu'il ne réagit pas forcément comme veut le texte...

Un escalier dont on a beau franchir les marches et bien qu'on ait l'impression de monter, on ne change pas de position ; telle était l'impression qu'avait l'Orzhov quant à sa recherche. Partant d'une piste fantôme, le chemin se séparait en plusieurs branchements plus flous les uns que les autres. Le Marché Sud regorgeait de cafés, tavernes et restaurants de toutes sortes. Partir à la recherche d'une tenancière dans une telle zone, tout en essayant de rester discret, était tout aussi aisé que de trouver une aiguille dans la paille. À moins de brûler cette dernière, retrouver le petit instrument est presque impossible. Sans oublier que l'assassin ne cherchait pas une robe, mais une femme. Tout en admettant qu'il parvienne à trouver cette soit-disant marchande, les chances pour que cette dernière se souvienne d'une cliente était très improbable. La situation était délicate. Une consultation s'imposait...

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Alors que le monde réel était figé, dans l'esprit de Foenix le temps s'écoulait paisiblement. Deux hommes se tenaient debout dans une grande salle circulaire. Sur le mur, des masques de tous genres étaient suspendus. Ces derniers étaient le seul élément décoratif de cette vaste pièce, où résonnaient les bruits de pas synchronisés des deux hommes. Chose surprenante, les masques, qui semblaient être tous différents les uns des autres, étaient en réalité en deux exemplaires. Les doublons étaient disposés de telle sorte à avoir une symétrie spéculaire à l'un des innombrables diamètres de la salle. Foenix était d'un côté du miroir, Masque de Lune de l'autre. Chacun était habillé comme à son habitude. Ce fut le marchand qui commença, sa voix résonnant la pièce.

« Je sais pas ce que t'en pense, mais j'ai comme l'impression que nous faisons fausse route. »

La réponse de son alter-ego était quasi-instantanée.

« Moi j'ai plutôt l'impression que nous sommes entrain de nous perdre. Nous suivons une piste qui n'en est pas vraiment une et voilà que nous voyons qu'elle débouche vers un autre chemin encore moins net. Sans compter de plus la possibilité que ce diablotin nous mente. »

« Quel intérêt aurait-il à nous mentir ? Même si c'était pour protéger la semi-elfe, quel intérêt aurait-il à défendre ainsi une Golgarie ? »

« Une ex-Orzhov, je dirais », le corrigea l'assassin. « Si seulement nous avions son nom de famille, tout serait tellement plus simple... »

Pendant une bonne minute, personne ne souffla mot. Ce fut ensuite Foenix qui rompit le silence profond de la pièce.

« Que penses-tu de ma comédie ? »

« Ce n'est vraiment pas le moment de jouer les auteurs de théâtre ! », lui répondit l'assassin d'un ton dur.

« Aller, dis-moi seulement ce que t'en penses. »

« Je penses qu'elle serait mieux si elle se déroulait selon tes intentions. »

« Ce n'est pas de ma faute, si mon collègue improvise. Mais ne t'inquiète pas, elle aura le final que j'avais décidé. J'ai plus d'un tour dans mon sac. Prend place et admire le spectacle ! »

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Foenix parut quelque peu déçu de la réponse du tailleur. Il fixa longuement son dessin, admirant le trait, le jeu du clair-obscur, le traitement du volume et de la texture. Il s'arrêta spécialement sur le visage de la femme représentée. Puis, son air décidé contredisait sa petit voix hésitante. Il avait alternativement le regard baissé sur son oeuvre ou levé sur les yeux de son interlocuteur, alors qu'il s'adressait au diablotin.

« Ecoutez, je... je crois que je vais... vous dire la réelle raison de ma présence ici. En réalité, je ne suis pas à la recherche de la robe, mais de sa propriétaire. Elle est d'une splendeur inconcevable. Mais je suis très timide, vous savez. Je n'ai pas eu le courage de lui avouer mes sentiments, et maintenant je le regrette amèrement. Je vais donc reformuler ma question. Avez-vous déjà vu cette femme, auparavant ? Pouvez-vous m'en dire plus à son sujet ? Je ne connais malheureusement que son prénom, que je lui ai demandé pour lui faire la dédicace sur le dos de son portrait, comme j'ai l'habitude de le faire. Elle se nomme Anya. »

Le ton presque suppliant, la gêne du timide amoureux, l'histoire qui tient presque du tragique : une interprétation digne du meilleur acteur de théâtre de la guilde. La façon avec laquelle tout s’imbriquait, la voix peu convaincante, lorsqu'il parlait de rechercher la robe, l'histoire sans queue ni tête qu'il raconta au tailleur, tout ceci a été si bien mis en place que les paroles de l'Orzhov ne pouvaient qu'être crédibles. À moins de n'avoir un don pour sonder les pensées, personne ne pouvait croire que derrière cet artiste amoureux mais timide se cachait en réalité un assassin sans scrupules, prêt à tout et n'importe quoi pour arriver à ses fins. Masque de Lune ne put qu'applaudir son alter-ego. Sa performance méritait l'ovation.

« Joli prénom, mais en ce qui concerne la personne, je ne pourrai vous en dire plus, je le crains, » fit le diablotin sans se départir de son sourire. « Comme je vous l’ai dit, je ne connais pas cette jeune femme, mais il est vrai que je ne quitte pas souvent mon échoppe. J’espère franchement que vous réussirez votre quête, un amoureux transi a peut-être plus de chances de convaincre Madame Molya de lui divulguer des informations qu’un commerçant avide de découvrir un nouveau produit à vendre ! Je vais vous donner l’adresse de Madame Molya, ce n’est pas très loin d’ici. »

Il se dirigea vers son comptoir, replaça ses lunettes sur son nez, et traça quelques lignes sur un morceau de parchemin avant de me le tendre.

« Vous ne pouvez pas vous tromper, le café est assez connu dans le quartier, et si vous ne le trouvez pas, il y aura bien quelqu’un pour vous guider. Je l’aurais bien fait moi-même, mais mes aides sont en congé aujourd’hui, et je dois donc tenir seul ma boutique. Quoi qu’il en soit, » ajouta-t-il comme s’il venait d’y repenser, « n’hésitez pas à revenir si quoi que ce soit parmi mes créations vous intéresse. J’ai cru observer votre intérêt pour les costumes de ce présentoir, vous pourrez les essayer quand vous le souhaiterez. »

Il me fixa dans les yeux, et je vis que soit il était particulièrement doué, soit il était sincère.

« Mais il serait fort inconvenant de ma part de retenir un amoureux transi alors qu’il cherche à retrouver sa dulcinée. Je vous souhaite une très bonne chance dans votre recherche ! »

Tandis que Foenix se reprenait de sa stupeur, l'assassin entama le décodage de cette femme. Le prix qu'elle imposait aux clients ainsi que la possibilité de discuter avec une amie tandis que le personnel de son café était payé pour s'occuper de tout, il put en tirer qu'elle devait être dans une classe sociale probablement supérieure à celle du marchand. Il est fort possible que par conséquent elle puisse se permettre des vêtements sur mesure, parmi les plus chers sur le marché. Aucun rapport donc avec les achats vestimentaires que la semi-elfe pouvait se permettre. L'assassin sentait qu'il faisait fausse route. Il sentait bien qu'il ne valait plus la peine de continuer sur cette piste qui ne donnait que des déceptions accumulées, telle la pile le déchets que l'on ne sort pas de chez soi, par paresse ou par manque de temps. Masque de Lune proposait de partir le plus tôt possible. Il était conscient que sortir du café sans adresser le moindre regard à cette Madame Molya serait non seulement d'une impertinence puérile, mais surtout assez louche, puisqu'il demanda cet entretien avec la femme. Foenix insistait pourtant pour d'autres raisons. Contrairement à son alter-ego, il sentait qu'il était proche d'une réponse. Eux mieux que quiconque devraient savoir que les apparences peuvent être trompeuses.
Un autre détail qui n'échappa pas à l'assassin, la bague ainsi que le pendentif de la femme. Tout laissait penser qu'elle devait être une veuve. Une riche veuve, d'ailleurs. De celles que l'on entend dans les récits dont l'avarice et l'envie sont les ingrédients favoris, où une riche et vieille femme épouse un charmant jeune homme, qui ne désire qu'une chose, écrire le testament de sa "femme", afin de disposer de ses biens à sa mort, qui sera évidemment prématurée. Foenix hésita à la séduire. Ce genre de femme se fait en général rapidement prendre dans les émotions de ce type. Mais l'assassin le lui déconseilla fortement, estimant que ce n'était vraiment pas nécessaire...
La deuxième scène de cette réalité basée sur une comédie continua avec le large sourire que l'artiste adressa aux deux dames. Alors que le serveur prenait congé de lui, probablement pour annoncer sa commande en cuisine, il s'adressa à Madame Molya avec son hypocrisie habituelle. Une voix douce, un ton cordiale, donnaient l'impression que l'artiste était sûr de lui. Mais en écoutant attentivement, ses cordes vocales semblaient trembler, par une agitation inconnue, qui poussait à l'interrogation.

« Bonjour Mesdames ! Alors oui, je goûterais très volontiers à ces petites merveilles, qui ont l'air fort délicieuses ! » Il s'assit à leur table, empoignant l'une de ces viennoiseries et la porta dans sa bouche, avant de la savourer lentement, puis reprit. « Je suppose que vous savez d'or et déjà les raisons de ma visite dans votre café. D'ailleurs si je peux me permettre, vos robes sont ravissantes ! M'autorisez-vous à conseiller votre tailleur à ma charmante soeur ? Quoiqu'il en soit, comme vous avez pu l'entendre tout à l'heure, je voulais vous demander comment vous est-il venu à l'esprit de décorer votre café avec tant de grâce et de beauté, et comment vous vous y êtes prises pour réaliser ce chef-d'oeuvre à grande échelle. »

Un point blanc au centre d'une toile entièrement peinte en noir ressort beaucoup. Même si l'on est plongé dans l'obscurité qui entoure cette tâche, c'est sur cette dernière que nous posons inconsciemment l'attention. Ainsi, en plaçant cette question concernant le tailleur de cette femme dans un discours presque hors-sujet le rendant tout aussi discret que important. L'intention de Foenix (ou plutôt du personnage qu'il interprétait) était que Molya réponde à cette question comme par formalité. Alors que s'il avait été plus directe, la tenancière le sentirait plus comme une sorte de violation de la sphère privée, ce qui n'était pas le cas ici, car sa question présentait plus de la petite curiosité passagère qui ne nécessite pas forcément d'une réponse. Bien que cette approche semblait efficace, l'assassin restait perplexe. Il était convaincus qu'ils faisaient fausse route. Autant que son alter-ego était convaincu qu'ils étaient sur la bonne. Ils étaient tous deux étonnés de comment ils ont parvenu à survivre dans un même corps, ces deux esprits si opposés. C'était peut-être d'ailleurs là leur point fort...

Dans l'esprit de l'Orzhov, Foenix s'illumina d'un sourire empli de cette satisfaction du joueur de hasard qui vient de gagner une fortune, au coût de sa fortune initiale. La chance passe de façon aléatoire devant différentes personnes ; certains la voient, d'autres pas, certains la saisissent, d'autres la laissent s'échapper, craignant de devoir le payer cher. L'armurier a toujours attrapé les opportunités au vol, convaincu qu'en improvisant il saurait faire face aux dangers.

*La chance est l'arme secrète de l'acteur qui improvise. Admire, cher collègue, comme je vais dominer la situation, grâce au fruit du hasard. Car dompter la chance est tout un art ! *

L'assassin estimait fort heureux que les dires du diablotin se sont vérifiés, mais sa perplexité ne s'estompa pas pour autant. Selon lui, Foenix tentait inexorablement d'accomplir une quête vaine, trouver une marchande itinérante dans cette immense cité. Il est évident qu'il s'approchait de ce but, mais tel n'était pas le leur. Ils devaient trouver des informations sur une Golgarie, et rien ne leur confirmait que cette tailleuse en aille. Pourtant, l'armurier restait convaincu que son plan allait marcher. Malgré que les deux esprits cohabitaient le même corps, une grande différences les séparaient, tel un océan sans fin : l'assassin écoutait sa raison, le marchand son instinct. Deux façons de pensées différentes, qui permettent d'atteindre le même objectif en empruntant des routes distinctes. Foenix faisait confiance à son navigateur, qui, finalement, l'a toujours sauvé des situations difficiles. Spécialement quand il le sentait si puissant.
Revenons à notre pièce. Malgré la réponse satisfaisante de la vieille femme, l'homme semblait nerveux. Il adressait un sourire crispé, alors que la tenancière lui parlait, puis l'effaça, regardait autour de lui, et frappait ses doigts sur la table en bois, en gardant sa main ferme. Il semblait observer les peintures qui ornaient les murs du somptueux café, mais son regard paressait perdu. Il ne parvenait pas à dissimuler une certaine agitation, comme si quelque chose devait sortir de ses lèvres, mais une force la retenait à l'intérieur. Il pris finalement une grande inspiration et se tourna vers les deux femmes. Il paraissait nerveux, mais sa sincérité n'en était que plus prouvée.

« En réalité... je ne suis pas intéressé à votre décoration, bien qu'elle soit splendide, » commença-t-il avec une certaine nervosité. « En réalité, j'ai une autre demande à vous faire. Une demande bien plus importante, à mes yeux. Voyez-vous, je suis un artiste ambulant. Je dessine un portrait des passants qui le désirent. Mais ma passion a toujours été la peinture. Mon père, un riche commerçant, n'a jamais approuvé mon rêve, il voulait à tout prix que je continue les affaires de famille, étant son fils unique. Après une dure dispute, j'ai quitté notre demeure, à la poursuite de ma passion. Je n'ai pris avec moi que cet habit, » il montra d'un geste de la main son plastron d'argent, « qui m'a été légué par mon grand-père, ainsi que les quelques sous que je possédais. J'ai pu m'acheter un petit appartement (enfin... une chambre, en réalité...) et le strict nécessaire pour pouvoir dessiner les portraits des passants. Mais ce métier me rapporte juste assez pour vivre, jamais je n'aurai de quoi m'acheter des toiles et de la peintures... Je vous le demande donc à genou, Madame Molya, je vous en prie, si vous pouviez me procurez de quoi devenir un peintre, j'ornerai les murs de votre café avec mes tableau, selon vos désirs. Je me sens capable de peindre. Pour vous donner une idée de mes compétences, » il sortit le dessin de la semi-elfe et le posa sur la table, « voici un portrait d'une passante que j'ai réalisé il y a quelques jours. »

Mais... pourquoi mentait-il ? Pourquoi ne pas dire la vérité à cette vieille femme ? La raison était pourtant simple, il désirait faire d'une pierre deux coups. Peut-être que Molya, en voyant le portrait de la jeune femme ainsi que son habit, pourrait lui donner quelques informations supplémentaires quant à la marchande, voire même concernant sa muse, qui sait ? D'autres part, il aura un métier qui rapporte réellement quelque chose, si son intention était de vivre avec cette jeune femme, jusqu'à la fin des temps. Un personnage timide, mais très astucieux, qui parvient assez bien à cacher son jeu. La pièce commençait à devenir intéressante, la façon dont cet homme entreprenait sa quête était assez insolite, mais convaincante.
Et qu'en était-il pour Foenix ? Sa stratégie était la même. Placer au sein d'un discours hors sujet sa réelle intention. Il était également persuadé que la femme réagirait en voyant le dessin. Il venait de lancer son dé, présentant que cette fois-ci, il gagnera sa fortune. Il ne connaissait pas réellement la réaction possible de Molya, mais il sentait qu'il s'était bien servi de la situation. Son discours était crédible, il s'enchaînait bien avec ce que disait la vieille femme, concernant le fait qu'elle engage des artistes pour décorer son café. Quant à l'assassin, il attendait de voir. Effectivement, son alter-ego avait bien fait de montrer le dessin et avait également dissimulé ses intentions sans paraître suspect. Mais une petite chose le tracassait...

* Que vas-tu faire, si elle acceptait d'engager cet artiste et que ce dernier disparaisse de la surface de la terre ? *

La réponse de l'armurier fut immédiate.

* Et bien, Masque de Lune aura une meilleure réputation. Il ne porte point son masque, car c'est par les sentiments, qu'il dissimule son visage. *

Dans l'esprit de l'Orzhov, Foenix semblait déçu. L'improvisation devient difficile, si l'environnement ne suit pas... Quel intérêt avait donc cet artiste de visiter un café, bien trop cher pour sa misérable fortune ? Il désirait trouver cette jeune femme, et cet endroit ne lui conférait aucune indication pour atteindre son but. Bien qu'il avait devant lui une occasion unique de faire fortune, tout l'or du monde ne vaudrait pas l'amour qu'il avait pour cette inconnue.

* Arrête ton scénario, il faut qu'on parle... *

L'assassin semblait pressé de discuter avec son alter-ego. Foenix hésita longuement. Il savait déjà qu'il allait le blâmer d'avoir suivi une piste sans destination, un chemin sans fin. Mais, au fond, il n'avait guère le choix. Bien que ce soit lui le propriétaire de ce corps, l'assassin était partie intégrante de son esprit.

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Les deux hommes se retrouvèrent dans la salle circulaire. Chacun dans son hémisphère, ils se fixaient l'un l'autre, debouts. Après quelques secondes de silence, l'assassin, toujours couvert par une capuche, se mit à faire les cent pas, tandis que Foenix ouvrit les hostilités, avec un ton ironique et moqueur, privé de son habituel sourire prétentieux.

« Tu sais, pas besoin que tu me gueule dessus comme à ton habitude. Je sais ce que tu vas me dire : je te l'avais dis, que tu faisais fausse route, on a perdu du temps, on aurait pu allé chercher ailleurs, et patati et patata ! J'en ai plus qu'assez que tu me prenne pour un sombre abruti, j'ai fait ce que j'ai pu, alors que toi t'as même pas proposé une alternative à... »

« Veux-tu la fermer, sombre crétin ! » le coupa son alter-ego, qui ne cessait de faire les cent pas, tout en fixant le marchand dans les yeux. « Tu n'as pas fait fausse route, au contraire. Si tu veux mon avis, cette vieille grenouille possède les informations que nous cherchions. Réfléchis un peu : chaque fois que nous parlions du tailleur, elle changeait de sujet, ça c'est une première chose. De plus, une robe qui a sans doute été réalisée par un grand tailleur de quelque famille Orzhov, serait en vente par une marchande ambulante ? Ne me fais pas rire ! C'est ridicule !
Ce qui m'as mis réellement la puce à l'oreille, c'est sa réaction, lorsque tu lui as avoué tes sentiments pour l'elfe. Après une telle déclaration, un simple commentaire est la réponse minimale à donner. Du genre, "j'espère que vous réussissiez", ou bien, "c'est une femme rencontrée par hasard, essayer de la retrouver serait vain", etc. Au lieu de ça, rien ! Pas un commentaire. Prends-le comme un instinct de prédateur, mais cette femme essaie de protéger la Goglarie et se doute de tes intentions véritables. Elle veut t'emmener visiter son établissement, où des gros bras t'attendent pour t'achever.
Suis-la. Reste sur tes gardes et suis-la. Je m'occuperai du reste. À Ravnica, le plus fidèle des amis devient le plus vil des traîtres, si la mort menace de perturber son quotidien. Dès que ses gardes apparaîtront, j'interviendrai. Mais il te faut survivre, en cas d'attaque surprise. Reste sur tes gardes et ne me déçoit pas. »

Foenix fut profondément soulagé par les dires de son altrer-ego. Il lui adressa un large sourire qui disait : "je ne te décevrai pas !"

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L'artiste souriait à Molya, non sans paraître quelque peu gêné. Demander ainsi du matériel, il se sentait quelque peu nerveux. De plus, il était encore agité à l'idée que son rêve n'allait pas tarder à se réaliser ! Avec une voix un peu saccadée et tremblotante, mais remplie d'une indéfinissable joie, il s'adressa à son interlocutrice.

« Je... je ne sais pas quoi dire, c'est merveilleux... c'est... c'est un rêve qui se réalise ! Je vous en serez éternellement reconnaissant ! Le matériel dont j'aurai besoin... et bien... une toile et plusieurs tubes de peinture à l'huile, sont tout ce dont je nécessiterai, pour l'instant. Et puis... ce serait un honneur de... de pouvoir visiter votre café et cette fameuse salle. Je me réjouis de pouvoir remplir ce lieu de mes oeuvres, je ne sais comment vous remercier, je vous serez éternellement reconnaissant, Madame Molya ! »

Une dernière recommandation de l'assassin ne manqua pas.

* Fais attention à toi, surtout... *

[HJ : Si mes intuitions sont bonnes, je désirerais intervenir, dès que je suis seul avec Molya, ou dès que ses "gardes" (si gardes il y a) apparaissent]

[HJ : Alors ca, c'est un coup bas ! Méchant... ]

* Mmh... il ne m'a pas l'air d'un pâtissier, lui... *

De deux choses l'une, soit la vieille dame avait menti au sujet de son fils cadet qui réalisait les petites délices que sa mère lui enseigna à préparer, soit ce Boros devait avoir la passion pour les pâtisserie. Quoi qu'il en soit, l'Orzhov préférait voir les mains du sergent dans la pâte, plutôt qu'empoignant un glaive. La neutralité de celui-ci n'était vraisemblablement pas vérifiée, ce qui mettait Masque de Lune en désavantage. Mais l'assassin n'avait pas vraiment sa place dans une telle situation. Le mensonge et la manipulation n'étant pas dans ses talents, Foenix préféra reprendre place sur scène. Il se tourna en direction du sergent Boros, gardant une très légère distance entre sa main gauche et le dos de Molya, cachant celle-ci des yeux de son fils, et lui adressa un large sourire.

« Voici donc votre fils cadet. Le saviez-vous que votre mère vante vos talents de pâtissier, sergent ? »

Ce petit commentaire qui dissimulait mal une petite ironie, aurait semé une certaine perplexité dans l'esprit du Boros, dans le cas où celui-ci n'était effectivement pas celui qui préparait les viennoiseries que Foenix eut la chance de goûter. Mais ce n'était pas pour tout cela, que Madame Molya dérangea son fils, qui prenait tranquillement le soleil, face à la fenêtre.

« Votre mère vient tout juste de m'engager pour décorer cette pièce. Je pensais à vous, comme modèle, étant le fils cadet de la propriétaire du café, pour peindre cette paroi à notre gauche. Le fait que vous soyez de plus sergent amplifiera l'effet ! »

Il marqua une petite pause, espérant que Molya comprennent de suite ce qu'il entendait dire. Il tourna légèrement la tête vers elle, non sans surveiller le sergent du coin de l'oeil, avant de continuer.

« Cependant, Madame, je viens de penser que vous ferriez également une excellente modèle. » il pointa discrètement sa dague sur le dos de la vieille dame, faisant particulièrement attention à ce que son fils ne remarque rien. « Dans ce cas, je me dois de vous rappeler que c'est votre fils qui pourrait admirer la représentation de sa mère, non plus l'inverse, bien que le résultat resterait le même... »

Foenix ne serait pas surpris si Madame Molya sa prête à se sacrifier, du moment que sans elle ce sont aussi d'importantes informations qui disparaissent. Mais ce ne serait certainement pas le cas du sergent. Cette menace était un bouclier pour se protéger du Boros, plu que pour convaincre la vieille dame à avouer. À présent que toutes les issues étaient plus ou moins barrées, c'était pour lui sa seule voie de fuite.