Un trait sur le passé.

Le soleil se levait à peine, le ciel, d’un bleu encore pale, presque délavé, semblait infini et plat. Il donnait aux yeux gris de l’Elf un ton de pierre, dans lequel la haine et la colère habituel se mêlaient à une mélancolie douce et enivrante.
Il marchait sur des terres désertées, de vieilles collines, pavées par endroits, parsemées de quelques ruines, semblant d’habitation archaïque peuplé il y a bien longtemps par certains clans Gruul. Yarkol savait pertinemment qu’il n’y avait dans les parages plus âme qui vive. Il y avait veillé personnellement, autrefois.
Il connaissait parfaitement l’endroit, pour y avoir massacré un groupe de voleur qui s’y cachait. Il était revenu de nombreuses fois ici. En fait, il y revenait chaque fois qu’il pensait à son vers. Peu importe où ils allaient, et ce que faisaient l’un et l’autre, une force au dessus de toutes conscience semblait les réunir ici tous les deux environ une fois tous les deux mois. Il commençait à peine à descendre une pente boueuse que le sol se mit à trembler.

Sa démarche lente et assurée se transforma alors. Il se mit à courir, dévalant quelques pentes, sautant une haie, escaladant une faille de trois mètres, sans raison apparente. Le soleil s’élevait à mesure qu’il avançait. Il arriva au pied d’un flanc de colline, qu’il ne pouvait assurément pas escalader. Les secousses jusque la plutôt faible s’accentuèrent, et se transformèrent alors en un grondement continu et régulier. Un craquement se fit entendre derrière l’Elf, puis une immense créature sortis de la terre. Un vers d’environ dix mètres, une mâchoire démesurée, tenant d’avantage du reptile que du vers. La bête se tint sur toute sa hauteur, splendide spectacle derrière lequel se tenait un soleil blanc, auréolant le reptile. L’Elf n’y connaissait rien en répartition des espèces. Pour lui, ce qui n’avait pas de pattes et qui ne volait pas était un vers, ainsi il confondait les serpents, les larves, les chenilles et autres semi-rampants. En outre, la créature devant lui n’était autre qu’une Guivre. Sa relation avec elle a toujours été des plus inhabituelle. En effet, l’Elf n’exerce aucun contrôle sur la créature, il s’est contenté de l’élevé et de la nourrir quand elle n’était pas plus grosse qu’un asticot. Une partie de son enfance, la créature était sans cesse sur son épaule, plus tard, elle se reposait sur son dos, jusqu’au jour où elle fut trop imposante et trop lourde pour lui. Ainsi, la créature l’aida lors de nombreux raid, servant parfois uniquement à faire diversion, d’autres fois elle jouait un rôle plus important, mais Yarkol n’appréciait pas y avoir recours. Il l’utilisait de moins en moins, ne la maitrisait plus comme il pouvait le faire jadis.

« Tu as bien grandi, mon vieux. »

La Guivre le dévisageait. Beaucoup auraient fuit devant cette horreur de la nature, sa taille et son aspect n’inspirant nul confiance. Yarkol pourtant, la voyait comme un vers. Un simple vers de terre, un peu plus gros. Bien qu’il ait vu la bête déchiré plusieurs hommes d’un coup de mâchoire et abattre quelques poutres avec l’extrémité dur et écailleuse en opposition à sa tête, il la trouvait toujours attachante.
La créature s’enroula sur elle-même, et l’Elf vint s’adosser à ce corps à la fois dur comme la pierre et rigide comme une feuille. Il laissa glisser ses jambes sur le sol, se retrouvant assis les fesses au sol, le dos contre la Guivre.

« Tu as cessé de me suivre. Je ne t’en veux pas. C’est moi qui ai rompu le lien. »

Le reptile n’avais pas besoin de maitrisé le langage de l’Elf pour comprendre. Ils n’avaient jamais eu besoin de mots. Les gestes suffisaient, les yeux exprimaient tout, les paroles étaient superflue, mais Yarkol avait ainsi l’impression de se livré.

« Tout vas changer. J’ai changé. Tu l’as senti. » Il laissa s’écouler de longues minutes, admirant la vue sur les ruines, les ombres semblaient fondre tandis que le soleil montaient toujours plus haut. « La prochaine fois, je ne viendrais pas te chercher en tant qu’égal et partenaire. Je serais le maitre et toi l’arme. »

La Guivre sembla contracter les anneaux formant son corps, mais Yarkol ne bougea pas, toujours assis contre la peau écailleuse. La bête acquiesça d’un signe de tête. Elle comprenait parfaitement la situation. L’Elf avait grandis. Il avait besoin d’arme. Ainsi soit-il. Un jour ils se retrouveront, et l’un prendra le dessus sur l’autre.
L’ancien Gruul repensait à ses rêves, ses espoirs d’avant, quand il était encore de la meute. Oui, une véritable meute, voila de quoi faisait parti Yarkol chez les Psora. Certains réfléchissent, d’autres agissent. De la chair à canon. Ceux un peu trop intelligent étaient impeccablement manipulé par les chamans pour se trouver des raisons, des buts et des causes qui les feraient se battre jusqu'à la mort et bien plus encore s’il le fallait. Une fois persuadé d’agir pour leurs propres idéaux et l’intérêt du clan, ils sont lancés dans la mêlée. Des combats sans distinctions de race dans le sang et les entrailles, un champ de bataille de plus, quelques cicatrices, et une dent de plus sur la ceinture. Toute sa vie n’était vouée qu’à cela.
Heureusement, il y avait son ver. Son réconfort, sa fierté. Mais depuis qu’il avait défié Nihil, l’Elf avait changé. Ses idées avaient changés, ses buts avaient changé, et finalement la torture des deux Golgaris n’était qu’un déclic.
Il avait soif de feu et de sang, mais n’avait plus de clan, plus de but, plus d’idéaux. Rien d’autre que sa fierté et son insatiable soif. Il s’était perdu. Perdu dans les méandres profonds et ténébreux de ses instincts les plus primaire, et ne parvenait pas à en sortir. La réalité était peut-être même plus trouble : il ne voulait pas en sortir. A quoi bon ? Les sentiments amènent peine et désespoirs, sans parler de la souffrance qui ne s’efface jamais. Dans le combat, le sang et les armes, la douleur était physique, palpable, réel, et de ce fait compréhensible et parfois contrôlable. L’Elf, une fois enivré dans un torrent de feu et de sang, profitait même de la souffrance. Cependant, cette personnalité berseker échappait à toute règles, impossible de se contrôlé ou d’agir intelligemment. La souffrance le rendait insensible à toute peur et il n’hésitait pas à foncer sur un régiment entier. De la folie.
Il était troublé et perplexe, d’une part parce qu’il s’analysait lui même sans se comprendre, d’autre part parce que tout se qu’il venait de penser et de ressentir venait d’être perçu par son compagnon d’enfance.

La Guivre le fixa un long moment, puis avança la tête, rampant sur le sol. Yarkol se releva et caressa le cou du ver géant. Il n’était pas courant que la bête réclame des caresses. L’Elf tapota doucement le corps dur de son compagnon, qui se retourna et s’enfonça dans la terre. Le sol trembla quelques instants, puis plus rien.

Le soleil était bien haut maintenant. Mais l’Elf n’avait pas faim. Il s’assit, cette fois ci seul, à même le sol. Voila, c’était fait. Il venait de tiré définitivement un trait sur toute son enfance. Il s’allongea et fixa le ciel. Aucun nuage. Rien d’autre qu’un bleu infinie et une boule de feu. Voila l’état de perfection pour ce monde : le néant. Plus rien d’autre qu’une boule de feu. Il prononça a haute voix, pour lui-même : « Un jour, ma terre seras mon ciel. Alors seulement, le feu pourra s’éteindre. »
Ses paroles s’envolèrent sous une brise légère et fraiche. Un jour, peut-être sera-t-il en paix...

Le semi elfe regardait ce reste de shamane qui lui faisait face. Triste spectacle, un rappel de ce qu’est le quotidien de ceux qui ont été banni. Voila qui aurait du le dissuader, lui qui quittait les siens presque de son plein grès. Non, il n’aurait jamais aucuns regrets. Le monde est bien plus vaste que l’infinie cruauté du désert et de sa misère.

« Ariden, je ne m’attendais pas à rencontrer qui que ce sois, et surtout pas vous… »

Yarkol se doutait que son interlocuteur ne l’entendait pas, sa quinte de toux devait lui arraché les entrailles au point où rien de ce qui se passait autour ne pouvait interrompre la douleur, sauf peut-être la mort.

« Est-il vrai que… ? »

L’intérêt soudain du vieil homme n’avait pas éveillé les soupçons du jeune elfe, cependant, la question le mit immédiatement mal à l’aise, un douloureux souvenir le gifla comme el souffle de bas vent des dunes. La torture qu’il avait subit, le froid de la mort, la brulure de la réanimation, la cicatrice que cela lui avait laissée sur le cou n’était rien comparée à ce que l’esprit de l’ancien Gruul avait dû endurer. Il est probable qu’il ne soit pas sortis indemne de cette regrettable expérience, peut-être même que ses conséquences sont plus graves qu’elles ne semblent l’être. Oui, sa vie avait profondément changé de sens ce jour là. Le vent avait tourné.

« C’était un jour comme celui-ci, sans nuage et très chaud. Oui, un jour aussi simple que celui-ci, vous m’aviez dit ‘Les vents tournent, le désert est changeant, mais son hégémonie est immuable, cette vérité est telle qu’elle est Loi, et cette loi est la suivante : Ni les morts, ni les vivants, ni les guildes, ni les Dieux, ni les Anciens ne peuvent calmer la colère du désert, il ne prête nul attention aux guerres des vivants, ni aux tourments des morts, il détruit et change de sens, s’acharne ou ne fait que passer’ Vous vous souvenez ? Eh bien, Ariden, sachez que j’ai bravé la Loi, et que cela m’a couté cher. J’ai renié le désert, j’ai maudit sa domination, j’ai fuis, et me voila privé de mon peuple, privé de ma meute, des Psoras, je le sais, et vous, vous le saviez aussi, avant même de m’en demander la preuve… »

Et tout en parlant, il retira le lambeau de cape qui lui servait à caché son cou. Une cicatrice boursouflée, une brulure sans aucun doute possible, serpentait sur le long de sa trachée, à l’emplacement de ses cordes vocales.

« C’est tout ce qu’il reste des sceau que l’on m’avait apposé. Je suis mort, shaman. Je ne suis plus qu’un souffle, la lueur d’une étoile avant qu’elle ne disparaisse complètement, comme si jamais elle n’avait existé. »

Oui, c’est bien ce qu’il pensait. Au fond de lui, l’ancien Gruul savait. Si personne ne vous regardait, si personne ne se souvenait de vous, si vous ne pouviez ni écrire, ni hurler, ni graver dans la chair d’un ennemi la marque de votre présence, alors vous n’existiez pas. Il le savait depuis qu’il n’appartenait plus au Psora, depuis qu’il avait trahis. Il n’avait pas osé revenir sur son ancien territoire, il savait que c’était la mort assuré. Mais le désert a ses propres Loi, et ses propres moyens de rattrapé ceux qui sont infidèle. Peut-être le destin prenait-il la forme de ce vieux peau-de-lépreux. Peut-être aussi que le souffle et la colère était déjà passé et qu’il était en face d’un renouveau. Qui peut savoir ? Personne. Mais peu importe, le chaos est seule Réalité. Et loin de craindre son destin, Yarkol était prêt à encaisser tout les coup de fouet qui viendraient, il voulait vivre et c’était le prix à payer, il voulait exister, et il trouverait bientôt le moyen d’être éternel. Tout cela ne faisait aucun doute.

L’esprit Gruul est amoindri. Oui, tout est dit. Voila ce qui minait le moral du semi-elfe, voila au fond pourquoi il n’avait pas tenue plus longtemps sous la torture. La détermination, le sens de la famille. Le jeune pyromane en savait quelque chose. La peur que vos compagnons vous dévorent si vous n’étiez pas assez robuste durant les famines était réelle. Des meutes de loups disparate, agars et affamée, voila ce qu’ils étaient. Rien à voir avec la gloire que chante ces vieux gobelins qui parlent de soulèvement massif tenant tête aux autres guildes. La vérité, c’est que nous sommes des oubliés, des exclus de la civilisation. Pourtant, Ariden l’avait dit lui-même : c’est à nous qu’incombait la tache de protégé Ravnica de ce fléau qu’est l’organisation et la domination par la civilisation.

« Un culte vénérant les Anciens, respectant les anciennes coutumes ? N’ont-ils pas vu ce qu’est le monde en dehors du désert ? J’ai traversé quelques quartiers, Shaman, j’ai vu ce qu’ont bâtis les Guildes. Nos coutumes, nos croyance, ils n’en tiennent pas compte, et ils n’ont pas à le faire : nous ne sommes plus rien. Je sais que certains, notamment parmi les miens…Enfin, notamment parmi les Psoras… certaines personnes tentent de rallier les clans. »

Le vent tourna, fouettant son visage avec force. Il eut du même coup le souffle fétide et acre du vieux sorcier dans les narines. Ce n’est pas le genre d’odeur qu’on oublie, croyez-le Seulement, elle était différente, plus forte et plus subtil qu’avant. Il sentait la peste et la mort, mais sa chair pourrissante dégageait aussi une odeur de pue que seuls les organismes vivant peuvent produire. Est-ce là le destin de ceux qui sont maudit par le désert ?

« Je n’ai pas choisi cette voie, Sorcier. Mon chemin est celui d’une flamme triste, mais je ne demande qu’à embraser le monde. Si je suis ici, dans ces ruines, c’est pour parler à ceux qui m’écouteront. Je sais que je risque, une fois de plus, la mort. Mais je n’ai pas le choix. J’ai vu ce monde qu’ils ont construit, cette aberration sans nom qu’ils ont battit dans le sang et la peur.Là bas, on saigne sans se battre et l'on meurt sans arme à la main. Ils me dégoutent. Je n’ai pas peur, oh non. Au contraire, la colère me brule les entrailles, et je suis convaincu qu’il faut en finir avec cette folie. »

Il fixa le vieillard dans ses yeux rouges et fatigué. On y lisait à la fois la sagesse et la folie. Ravnica se montre cruelle avec ses véritables protecteurs.

« Parle moi de ce clan, les miens ne sont peut-être pas prêt à me recevoir, mais eux… S’ils ont gardé la foi dans les Anciens dont tu me parlais lorsque j’étais enfant, alors j'ai ma chance. Ariden, j’ai toujours l’impression que ton corps malade et tes yeux fatigué mènent de plus rudes combats et voient plus loin que ce à quoi je pourrais jamais prétendre. Apprends-moi ce que je dois savoir à propos de ces fous qui ont gardé l’espoir, que je sache si je peux aller à leur rencontre. »

Tout se précipitait dans la tête de l’elfe. Son discours était confus et trahissait tout l’ébranlement intérieur qui venait de le secouer. Il restait donc des Gruuls, des vrais, ceux qui n’ont pas oublié la signification du sceau et l’origine des Clans. Il fallait rétablir l’ordre initial, celui de la vie sauvage et de la liberté absolue. « Que le seul ordre soit Anarchie »

Le semi elfe sourit. Le clan Jeit. Oui, pourquoi pas. Il hocha la tête et fixa le vieil homme dans les yeux. Rester fidèle à lui-même… Oui. Oui, il ne comptait rien faire d’autre qu’écouter son instinct, cette fibre, cette aura enflammée qui l’avait guidé jusqu’ici, qui lui avait interdit de mourir, qui l’avait poussé à survivre jusqu’à maintenant. Cette flamme de haine, de colère, de hargne mais aussi de joie et de bonheur pur. Car l’essence de Yarkol était une furie ambiguë, un mélange de candeur et de cynisme mal digéré. Il symbolisait l’adolescence du monde, le lion rugissant, rejetant toute valeur pour s’approprié sa propre pensé. Le nihilisme actif, une contradiction euphorique. Un être libre, voila tout.

« Ne t’en fais pas pour moi. Je suis Gruul, et je le resterais. Peu importe l’avis des miens, je resterais leur fils, renié ou non. Je serais l’autre versant de la liberté, celle qui flirt avec la mort pour exister. Je me suis promis de devenir fort, mais j’ai besoin d’allier. Va pour les Jeit. A dans une lune, alors, et tache de survivre jusque là, je m’efforcerais de faire de même. »

Un dernier sourire adresser à celui que l’on pourrait considérer comme un de ses rares amis-bien que leurs contacts soient extrêmement éparses et de courtes durée- et le pyromane s’en retourna, marchant dans les dunes vers son brillant destin. Un néant en réalité, car le destin de tout les Gruuls, et un jour, il se le promit, de tout les vivant, n’est que surprise.