Recherche d'informations - Partie 3 : les quartiers Golgari

Silviel hésita un instant, puis serra la main d'Anya, tout en se mordant violemment l'intérieur de la joue.

"Je suis d'accord, notre amitié pourrait sembler suspecte. Ce serait en effet plus prudent d'utiliser un passage." La chantresse laissa un véritable sourire illuminer son visage, ce qui la transfigura. Toute trace de tristesse, ou presque, disparut, et elle sembla devenir une autre personne. "La véritable amitié est certes rare ces temps-ci... Je vous remercie à mon tour de m'offrir la vôtre."

Les yeux d'Anya brillaient quand elle répondit simplement :

"Merci Silviel !"

Elle se rappela soudain que la selesnyane n'aimait pas le contact avec les autres personnes et prit un air contrit tout en retirant sa main.

"Oh ! Désolée ! Pardonne-moi, je t'ai tendu la main sans y penser. J'avais oublié que tu n'aimais pas ça."

Son sourire revint.

"Souhaites-tu que nous continuions la visite de cette demeure ?"

Mais à ce moment-là elles entendirent la voix de Vala les appeler. Les deux amies se dirigèrent donc rapidement vers la salle où était soigné Marth. À leur arrivée, Vala leur dédia un grand sourire.

"Il va bien. Il a repris connaissance quelques instants, et je lui ai dit de se reposer. Ces Boros sont plus solides que je le croyais."

La guérisseuse interrogea du regard Anya.

"Tu peux parler en sa présence, je n'ai pas de secrets pour mes amies."

Vala eut un signe de tête et un sourire à l'attention de Silviel.

"Les amies d'Anya sont mes amies. C'est un plaisir de pouvoir faire connaissance avec une guérisseuse selesnyane. J'ai beaucoup appris des guérisseurs de notre guilde, mais notre connaissance est loin d'égaler la vôtre..."

Son ton redevint plus neutre.

"Enfin bon. Quoi qu'il en soit, je suppose que ce n'est pas pour rien que tu as ramené un Boros ici, Anya. Je pense qu'il sera suffisamment en état pour que tu l'interroges ce soir. En attendant, que diriez-vous d'aller faire un tour en ville ? Maman va s'occuper du soldat en mon absence, et j'ai envie de revoir un peu le soleil."

Anya se mordit la lèvre. Elle en avait vraiment envie, surtout si Silviel acceptait, mais sans le montrer elle était exténuée. Se déplacer avec sa prothèse était éprouvant, et la tension accumulée avec les Rakdos commençait à se faire sentir...

"Comme vous voulez," fit-elle enfin. Puis elle eut une idée qui lui permettrait de rester assise la majeure partie du temps, tout en restant dehors.

"J'ai entendu dire que le théâtre Vennis avait invité une nouvelle troupe à se représenter ce soir. On pourrait donc aller faire un tour dans le quartier du marché. Et on pourrait prendre une pâtisserie au café de Molya en attendant. Cela lui ferait plaisir, elle ne nous a pas vues depuis des mois. Juste le temps de me changer à la maison. J'en ai marre de sentir des bestioles se promener dans mes vêtements, j'ai l'impression de m'appeler Ivan..."

Vala éclata de rire.

"Silviel, j'ai une cape que tu pourras mettre le temps qu'on sorte de la Citerrraine."

"Excellente idée, tu passeras ainsi inaperçue. Tu voudras m'accompagner chez moi ou tu préfères attendre ici en m'attendant ?" demanda-t-elle à Silviel.

"Eh bien... j'aimerai bien vous accompagner, et dans ce cas, une cape serait en effet très utile, je vous en remercie, mais... cela ne risquerai-t-il pas de déranger votre tuteur ?" En réalité, Silviel, malgré son envie de rester avec Anya, était morte de peur à l'idée de rencontrer le nécromancien, encore plus de lui déplaire. Cependant, le plus étrange pour elle était ce que venaient de lui proposer les Golgaries. Une... sortie entre amies. Le genre de chose que jamais Silviel n'aurait envisagé de pouvoir faire... Elle voulut remercier les deux jeunes femmes, mais ne trouva pas les mots nécessaires pour exprimer ses émotions, et préféra se taire plutôt que de dire une bêtise.

Anya eut un haussement d'épaules.

"Bah, certainement, mais bon... Je lui dirai que tu fais partie du plan, ce qui ne sera qu'un demi-mensonge. Et de toute façon, il râle toujours quand Vala ou Danys viennent à la maison, alors un peu plus, un peu moins... Ne t'inquiète pas, il paraît terrible et insensible, mais en fait il est très gentil... sauf avec ses ennemis..." ajouta-t-elle plus bas.

Vala acquiesça, puis fit :

"J'irai chercher Danys pour qu'elle nous accompagne, elle nous tuerait sinon si elle l'apprenait."

"D'accord. On se retrouve ici dans une heure ?"

La guérisseuse opina.

"Oh, oui, peut-être même plus, tu sais bien que Danys met toujours trois heures à se préparer..."

"Tu n'as pas tort... Au pire, si vous n'êtes pas encore là quand nous revenons, on ira vous rejoindre chez elle, de toute façon, ce n'est pas plus loin des ascenseurs que chez toi."

"Entendu. Je vais te chercher la cape, Silviel."

Vala quitta la pièce, laissant Anya et Silviel à nouveau seules avec Marth qui dormait tranquillement sur un banc de pierre recouvert d'une épaisse couche de feuilles. Pas pour longtemps, d'ailleurs, car Dame Vanys sortit à ce moment d'une des autres pièces de la maison et les rejoignit avec un sourire.

"Vous allez sortir en ville ? Couvrez-vous bien, je crois que le temps va se mettre à la pluie ce soir."

"Et Vala qui voulait prendre un peu de soleil..."

"Ce sera toujours mieux que de rester enfermée ici comme elle le fait tout le temps. Il n'y a qu'avec vous qu'elle prend l'air..."

"Au fait, je ne crois pas t'avoir présentée, Silviel, une amie selesnyane. Dame Vanys, la mère de Vala."

"Enchantée." fit-elle en s'inclinant devant Silviel. "J'ai toujours souhaité faire connaissance avec l'un d'entre vous."

Silviel s'inclina à son tour devant Dame Vanys.

"Tout le plaisir est pour moi, Dame. La façon dont vous faites pousser ces plantes est tout simplement fascinante. Je n'avais jamais vu un tel travail en dehors des jardins selesnyans, et votre technique doit pourtant être bien différente... C'est passionnant." répondit la jeune femme, les yeux brillants 'une curiosité et d'un intérêt qui, associés à l'étrange et inhabituel bien-être qui se diffusait en elle réussissaient à vaincre sa timidité.

La golgarie sourit à Silviel.

"Ce serait avec grand plaisir que je vous enseignerais mes méthodes pour soigner racines et plantes grimpantes. Mais je ne pense pas que ces techniques soient très différentes de celles utilisées par vos propres jardiniers. Je suis des coutumes ancestrales, d'origine selesnyane étant donné que c'était à des selesnyans qu'appartenait cette maison. Même si certains détails dans les méthodes ont probablement évolué, l'idée générale reste la même, à savoir chercher à faire des créations artistiques, même si les nôtres ont aussi une connotation rituelle, que je ne sais si elle existe à Vitu-Ghazi."

Vala revint sur ces entrefaites, portant une longue cape brune.

"Tiens, Silviel, voilà de quoi te cacher tant que nous serons dans la Citerraine. Finalement, tu préfères aller avec Anya ou m'accompagner chez Danys ?"

Silviel drapa sa mince silhouette dans la longue cape tout en remerciant Vala. Elle en profita pour dénouer ses cheveux, et soupira de soulagement en secouant la tête pour remettre ses longues mèches en place. Non seulement celles-ci masquaient son visage, lui donnant une relative impression d'être cachée au regards des autres, donc en sécurité, mais de plus, le poids de sa chevelure une fois remontée commençait à sérieusement faire souffrir son cuir chevelu. Cela fait, elle se retourna vers Anya et Vala.

"Je préfèrerai accompagner Anya... Si cela ne vous dérange pas, bien sûr." répondit-elle, quêtant l'approbation de la jeune Golgarie par un regard timide.

Anya eut un rire joyeux.

"Bien sûr que non, tu ne me déranges pas, bien au contraire ! Je ne t'aurais pas invitée à m'accompagner sinon ! Bon, à tout à l'heure, Vala !"

Elle fit un signe de la main à son amie et à sa mère, puis quitta leur demeure pour s'engager en compagnie de Silviel dans une venelle éclairée par un seul lumignon. L'ambiance était assez glauque, mais Anya avançait avec assurance. Son diablotin voletait autour d'elle en poussant de petits cris perçants, mais la golgarie ne semblait pas s'en inquiéter. À Silviel qui finissait par s'en inquiéter, Anya répondit :

"Oh, ce n'est rien. Il est toujours comme ça quand il sent qu'on rentre à la maison. Même si ça peut te paraître un peu lugubre par ici, c'est un quartier de la Citerraine assez sûr. Il faut juste faire parfois attention, il y a des gens qui volent les bouches d'égouts, et parfois ça laisse remonter des créatures assez immondes, outre le danger qu'on puisse tomber dedans dans le noir. Mais on a fait passer des fécessentines il y a trois jours pour nettoyer un peu."

À la sortie de l'étroit passage ils se retrouvèrent dans une rue où se pressait une forte population de zombies. Mais contrairement à ceux que voyait habituellement Silviel à la surface, ceux-ci n'avaient l'air aucunement agressifs et semblaient vaquer à leurs occupations comme de simples habitants de la surface.
Au bout de quelques pas, néanmoins, le diablotin d'Anya lança un bref hululement d'avertissement.

"Dans la boutique, vite !" fit la jeune fille en saisissant la manche de Silviel et en la tirant dans une échoppe - une boucherie, d'après l'enseigne.

L'odeur était insoutenable, un mélange de sang et de charogne accompagnée de la forte odeur de décomposition des zombies qui s'y servaient.

Anya était très pâle.

"J'espère qu'ils ne nous ont pas vues," murmura-t-elle.

Silviel suivit son regard, et vit cinq nagas traverser la rue.

"Je connais celui de droite, il s'appelle Sisser, et il hait les Devkarin. Soit disant sous le prétexte de chasser, il massacre des habitants de la Citerraine. Et les Gorgones ferment les yeux sur ses agissements, car il est aussi leur principal fournisseur de "distractions"..."

Fort heureusement, Sisser continua sa route sans s'arrêter dans la boutique, et Anya put avec un soupir de soulagement reprendre la route vers sa demeure, qu'elle atteignit sans autre souci.

À la différence de celle de Vala, il se voyait que la construction était plus récente et servait de soubassement à un immeuble dont le sommet se perdait dans la couche de brume. Cependant, la qualité des murs et des toits laissait visiblement à désirer, et ceux-ci étaient nus, le crépi brisé par endroits laissant de ci de là apparaître les poutres de soutènement. L'ensemble n'était pas du tout éclairé, et il y faisait un noir d'encre.

Tout en allumant une torche dans l'entrée, Anya s'excusa :

"Je suis désolée, ça doit te paraître un taudis à côté de chez Vala, mais Ivan ne s'est jamais préoccupé de l'aspect de chez lui. Il préfère largement poursuivre ses recherches."

"Qui est là ? C'est déjà toi, Anya ?" fit une voix provenant du couloir.

"Oui. Je repars tout de suite, juste le temps de me changer. Je passerai la soirée en ville."

"Encore ? Tu y es déjà allée le mois dernier ! Et de toute façon je ne veux plus que tu sortes toute seule en Haut. La dernière fois tu t'es attirée suffisamment d'ennuis."

"Pff... Je serai avec Vala, Danys et une autre amie !"

"Ce n'est pas une raison ! Je serai intransigeant, tu n'iras pas seule."

"On pensait juste aller au théâtre Vennis pour voir la nouvelle troupe !"

"Euuuuuuh, bon, d'accord. Mais tu rentres tout de suite, après !"

"Oui oui !"

Anya eut un ricanement, puis plus bas, à Silviel :

"Il déteste les spectacles. Finalement j'ai eu une bonne idée de décider d'aller là-bas, au moins on n'aura pas Ivan sur le dos. Et je pourrais avoir du mal à lui expliquer mon amitié avec une selesnyane..." conclut-elle avec un clin d'œil.

Elle lui fit signe de la suivre dans une petite pièce où poussaient des champignons dans une série de bacs. L'ameublement était relativement simple, se composant d'un lit étroit, d'un bureau sur lequel la moitié de la place était occupée par un bac à champignons, le reste étant couvert de feuillets remplis d'une écriture fine, d'une chaise et d'une armoire. Sur le lit avait été déposés un matériel à couture et une robe pas tout à fait terminée.

"Désolée si ce n'est pas trop en ordre... Si tu veux essayer une robe, fais ton choix dans l'armoire. La porte a un peu de jeu et elle est un peu bancale, mais elle tient. Je reviens, je vais me changer."

Une fois Anya partie, Silviel s'abîma dans ses réflexions. Elle ne comprenait pas comment elle avait trouvé la force de serrer son amie contre elle, puis, la relative facilité avec laquelle elle lui avait serré la main. Etait-ce l'empathie qu'avait ressentie la chantresse vis-à-vis de la golgarie qui lui avait permis d'outrepasser sa terreur des contacts physiques ? La détresse d'Anya avait été si tangible, si proche de celle que ressentait Silviel... Il était aussi vrai qu'elle avait moins de mal avec les femmes : c'était les contacts masculins qu'elle supportait le moins - depuis cette soirée où elle avait voulu se raccourcir le chemin... La selesnyane secoua la tête, chassant ces pensées avant qu'elles ne deviennent trop prégnantes. Elle s'approcha de l'armoire et dût forcer légèrement sur la porte pour réussir à l'ouvrir. Elle effleura du bout des doigts les magnifiques tissus des robes pendues aux cintres, puis s'enhardit, les examinant les unes après les autres. Malgré leurs différences, même un oeil aussi peu exercé que celui de la chantresse pouvait deviner que les superbes vêtements avaient été exécutés par la même personne. Elle écarta les bleus, les rouges, les violets... Puis finit par tomber sur un assemblage de velours moirés aux riches couleurs automnales. Elle caressa l'étoffe, admirant sa douceur, et la finesse des coutures, et le talent avec lequel avaient été harmonisés les tons déclinés par chromatisme puis, comme si elle se sentait fautive d'amirer une telle merveille, elle la replaça et referma l'armoire. Presque aussitôt après, elle entendit Anya revenir, poussant la porte de la chambre.

Quand la jeune elfe parut, Silviel eut peine à la reconnaître. La nécromante golgarie avait été remplacée par une fille qui, à part les bijoux totalement absents, n'aurait pas déparé à une réception Orzhov. Elle portait une robe longue d'un vert très pâle, et s'était soigneusement coiffée, ne laissant que deux mèches de cheveux encore humides glisser en cascades brunes sur ses épaules.

"Tu n'as rien vu qui te plaise ?" demanda-t-elle, une nuance de déception dans la voix.

La selesnyane esquissa un timide sourire, presque contrit., tout en répondant :

"Oh si, justement, vos créations sont magnifiques... Mais ce sont des vêtements dignes de nobles, pas d'une apprentie chantresse... La richesse des couleurs et des tissus, le talent avec lequel vous les assemblez... Tout cela est bien trop beau. Ca me semble... inaccessible. Je n'y ai pas droit, me semble-t-il..."

Anya ne put s'empêcher de rire.

"Bien sûr que non ! Je ne destine pas mes créations à une élite uniquement. Je n'aurais pas pu d'ailleurs, car sinon cela ferait bien longtemps que je me serais retrouvée sans le sou, les robes des grands couturiers Volran & co. par exemple me surpassent largement, de tous points de vue. Avant que je vienne ici, je vendais tout aussi bien à la basse noblesse qu'à des gens du peuple, des femmes de marchands notamment."

Son regard se fit lointain à ces mots.

"Cela me manque un peu, même si c'étaient des années difficiles. J'avais des clients habitués vraiment gentils, comme la femme de Poldan, celui qui tient une taverne assez réputée dans le Sixième, ou encore Madame Molya, chez qui nous allons passer en attendant l'heure du spectacle. Mais maintenant, mes robes ne font le plus souvent que prendre la poussière dans l'armoire... Je n'avais plus trop le temps ni l'occasion de passer dans la ville haute avec mes études, et même maintenant que mes études sont presque finies, avec ma jambe en moins c'est devenu assez éprouvant. Je ne sors presque plus."

Elle sembla se rappeler quelque chose.

"Oh, tant que j'y pense, je vais en offrir une à Madame Molya. Ça lui fera certainement plaisir."

Ouvrant l'armoire :

"Hmm, la brune peut-être. Silviel, qu'en penses-tu ? Crois-tu que celle-ci pourrait convenir à Madame Molya - je ne sais pas si tu la connais, mais c'est une vieille dame qui raffole des jolies choses."

Elle exhiba à la selesnyane une robe assez simple, mais dans laquelle on sentait tout le savoir-faire d'Anya.

Silviel se pencha sur la robe, l'examinant attentivement. Le mélange de sobriété et de raffinement de la robe en question ferait merveille sur une dame âgée mais élégante. Après quelques secondes, elle se redressa et répondit à Anya :

"Oui, je pense que ça devrait lui plaire."

"Et toi ? Laquelle te plairais ? Je t'assure, ça me ferait vraiment plaisir que tu l'acceptes..." insista Anya.

Silviel hésita, et son regard s'arrêta sur l'assemblage de velours automnal qu'elle avait plus longtemps admiré que les autres. Sensitive, Anya suivit le regard de la Selesnyane et décrocha la robe en question.

"Celle-ci peut-être ?"

La chantresse voulut refuser à nouveau, mais se tut, consciente que cela blesserait Anya. Fascinée, elle effleura l'étoffe, tandis que la Golgarie l'examinait, tentant d'estimer la taille de Silviel.

"Elle devrait t'aller, je crois. Veux-tu l'essayer ?"

"Elle est vraiment superbe... Mille mercis, Anya..." répondit la Selesnyane, la gorge serrée. C'était la première fois depuis onze ans qu'on lui offrait quelque chose. Mais tandis qu'elle attrapait avec délicatesse la robe, la porte s'ouvrit à nouveau, les faisant sursauter. Le tuteur d'Anya entra dans la pièce, paralysant Silviel de terreur.

"Anya, tu..."

Ivan s'interrompit en voyant Silviel.

"Oh, pardon ! Je croyais que tu étais seule, je ne pensais pas que ton amie serait là."

"Ce n'est rien. Silviel, je te présente mon tuteur, Ivan. Ivan, Silviel," répondit Anya.

"Hmm... Vous êtes selesnyane, si je ne m'abuse ?"

Pétrifiée, Silviel hocha la tête.

"En quel honneur...?" reprit le nécromancien en fixant Anya et en haussant un sourcil.

"Cela fait partie du plan. Alors que je cherchais à joindre les Rakdos Ekrasios et Khamos, je suis tombé sur un Boros qui avait voulu faire preuve d'un peu trop d'autorité dans une taverne. C'est elle qui en a pris soin. Le Boros pourra nous servir de messager avec sa guilde."

"Hmm..."

Le ton d'Ivan était clairement réprobateur. Il était visible qu'il ne faisait pas confiance à Silviel.

"Ivan, je réponds d'elle. Et si jamais ça échoue par sa faute, je serai la première à la traquer jusqu'à la mort."

Ce disant, elle fixait Silviel et son ton et son regard s'étaient faits durs, mais dès qu'Ivan eut détourné le regard, elle adressa un clin d'œil à son amie.

"Oh, et puis tu fais comme tu l'entends. C'est ton projet, après tout. Mais tu n'aurais pas dû emmener cette selesnyane ici."

Il se détourna mais au dernier moment se souvint de la raison pour laquelle il était entré.

"Au fait, Anya, comme tu vas en ville, tu pourrais passer chez Varif et Orgh pour me ramener un bocal de viscères de viashino ? Je n'en ai presque plus..."

Anya ne put retenir une grimace de dégoût en se rappelant l'odeur horrible de la chose.

***Hum, finalement, on dirait qu'il souhaite nous accompagner. Ou bien il me donne le change pour le théâtre. Beuh...***

"J'essaierai d'y penser en revenant. Sinon j'irai demain matin, je n'ai presque plus de tissu jaune. Tu n'en auras pas besoin tout de suite je suppose ?"

"À toi de voir si tu veux ta nouvelle jambe rapidement... Savra m'envoie en mission à Utvara demain après-midi, je ne serai peut-être pas là ensuite de la semaine."

Le sourire d'Ivan était devenu diabolique.

"Bon, d'accord, je te ramène ce bocal en rentrant."

***Il m'a ferrée ! Et en plus Varif et Orgh ferment tôt... Si je ne trouve pas un moyen de le garder à l'abri, je vais devoir me le trimbaler toute la soirée, et alors bonjour l'odeur...***

"Au fait, voici de quoi payer Varif et Orgh."

Ivan lui tendit une petite bourse de cuir, puis quitta la pièce après un petit signe de tête à Silviel.

Lorsque le bruit de ses pas se fut évanoui dans le couloir, Anya se retourna vers son amie, l'air abattu.

"Bon, il faudra passer là-bas avant, ça ferme tôt..."

Elle se secoua la tête pour se changer les idées.

"Enfin en attendant, autant ne pas y penser. Veux-tu essayer la robe pour voir si elle te va ?"

Silviel inclina timidement la tête en signe d'assentiment, encore sous le choc de la rencontre avec Ivan. Anya lui indiqua la salle d'eau où elle pourrait essayer la robe. Silviel traversa le couloir et poussa la porte juste en face de celle de la chambre d'Anya. La salle étant plongée dans le noir, la selenyane attrapa une torche du couloir avant d'y entrer. De taille moyenne, elle était meublée d'un baquet vide, d'un miroir abîmé, d'un placard bancal, d'un porte-serviette et d'une serviette trempée. Un seau, deux robinets et un trou au milieu du sol, la pièce étant légèrement en pente, complétaient le tout. Silviel se débarrassa avec soulagement de sa robe de courtisane, et enfila la création d'Anya. Elle se mit face au miroir afin d'en juger l'effet, et ouvrit de grands yeux. Voilà qu'elle ressemblait à son tour à une jeune Orzhove, ou à la fille d'un dignitaire selesnyan ! La robe , aussi confortable qu'esthétique, s'adaptait parfaitement à son corps mince. Un sourire fugitif éclaira le visage de Silviel, et elle ressortit de la pièce, revenant dans la chambre d'Anya.

"Dites-moi, qu'en pensez-vous ?"

Anya ouvrit de grands yeux en voyant revenir son amie.

"Comme ça te va bien !... Au fait, tu peux me tutoyer si tu veux. On est amies."

Son sourire rayonna.

"Tu vas faire pâlir de jalousie Danys... Elle passe son temps à se maquiller et à se pomponner, alors qu'en fait le plus souvent la simplicité est ce qu'apprécient le plus les jeunes hommes... Mais je ne sais quant à moi ce qui pourrait plaire à celui que j'aime..."

Elle prit un air rêveur, et sur son visage son sourire mêlait à présent tout un panel d'émotions montrant à la fois son amour, son envie mais aussi un léger soupçon de désarroi...

Silviel se troubla en entendant les paroles d'Anya. Elle ne voulait pas rendre jalouse Danys, ou qui que ce soit d'ailleurs. Quand à plaire aux jeunes hommes... cette perspective lui faisait encore plus peur. Mais quand elle ressentit le désarroi de son amie, le sien passa au second plan et elle se rapprocha d'Anya, un air à la fois grave et attentionné sur le visage.

"Explique-moi cela. De quel genre est-il ? Quelle type de mentalité ?"

Anya piqua un fard, surprise que ses pensées secrètes se soient exprimées à haute voix, et mit quelque temps avant de répondre.

"Pour tout t'avouer, je le connais assez mal, ne l'ayant vu qu'à deux reprises. Mais le peu que je l'aie vu, il a toujours cherché à me protéger, au péril même de sa vie. Par deux fois il a même sauvé la mienne, alors que je ne lui avais rien demandé. Ce que j'aime chez lui, c'est le fait qu'il n'ait jamais cessé de garder son sens des responsabilités envers les personnes qu'il avait à sa charge."

D'abord réticente, la golgarie finit par s'ouvrir peu à peu.

"Je m'étais rendue dans une ancienne mine à la demande d'un noble Orzhov, qui promettait grasse rétribution en échange de l'exploration de celle-ci. Est venu un moment où notre groupe d'explorateurs, dirigé initialement par ledit noble, un certain Comte Enlik, a dû se séparer, et Kinay - c'est le nom de cet homme merveilleux - a pris la tête du groupe dont je faisais partie. Il était le seul autre Golgari du groupe, et je souhaitais rester avec lui plutôt qu'avec le Comte et un autre Orzhov, pour les raisons que tu connais à présent. Chaque groupe a poursuivi son chemin de son côté. C'est là que je perdis ma jambe, broyée par un bloc de pierre, et je manquai de justesse d'y laisser la vie, si lui et la Simic qui nous accompagnait ne m'avaient soignée, au péril même de leur vie car on se trouvait dans une section de la mine visiblement occupée par des Rakdos ou des Gruul, qui pouvaient revenir d'un moment à l'autre. Fort heureusement, lorsqu'ils revinrent, j'étais suffisamment remise pour pouvoir me déplacer à peu près sans aide - ma guérison a d'ailleurs été étonnamment rapide, ce qui nous a tous pas mal surpris. C'était comme si j'avais pris une pleine dose de larmes, comme le font les Boros."

Son regard s'était fait interrogateur.

"Enfin bon, là n'est pas la question," reprit-elle. "Toujours est-il que lorsqu'il a fallu fuir devant l'ennemi, il a insisté pour partir en dernier, alors qu'il était le responsable de notre groupe d'exploration. Enlik lui avait donné pour rôle l'exploration de la mine, et nous n'étions censées être que des outils pour mener à bien cette exploration. Mais Kinay se sentait responsable tout autant de l'expédition que de ses membres, et c'est ce que j'ai trouvé d'exceptionnel en lui. Lors même que je lui demandais de passer devant, d'autant plus que j'étais devenue un poids mort pour l'équipe, il refusait, insistant pour sauver nos vies, nous faisant passer avant même la mission qui lui avait été allouée."

Elle se tut à nouveau, alors qu'elle revoyait la ferveur de Kinay dans ses souvenirs.

"Finalement, nous avons réussi à échapper à nos poursuivants, mais nous avons été séparés de la Simic. Cependant Kinay et moi avons été attaqués par une horreur arachnoïde, et à nouveau il a donné la mesure de sa bonté d'âme en se sacrifiant pour me permettre de m'échapper. J'errai alors seule dans la mine, et je finis par être recueillie par des Orzhov, et la famille de Vala me ramena dans les quartiers Golgari. Mais Kinay s'en était finalement lui aussi sorti, car quelques jours plus tard, alors que j'étais encore alitée, il se rendit chez Vala et me remit la récompense promise par Enlik. Mais ce jour-là il avait semblé anormalement pressé, et repartit aussi vite qu'il était venu. Et je ne l'ai plus revu depuis..."

Sa voix se brisa à ces mots.

Il était du devoir de Silviel de se montrer optimiste et réconfortante, aussi offrit elle un sourire encourageant à Anya avant de lui répondre :

"Ne t'inquiète pas, vous finirez sûrement par vous revoir. Ce n'est qu'une question de temps. Sinon... s'il est aussi responsable et protecteur... Je ne suis pas experte en ce domaine, loin, très loin de là, mais... Il me semble qu'il apprécierait une totale sincérité de ta part... Y compris dans tes faiblesses, n'essaie pas de les cacher... Sans toutefois les mettre trop en avant. Et surtout, de la simplicité et de la franchise."

Anya releva la tête.

"Merci. Je ferai comme tu me le conseilles... mais je crains de n'oser lui avouer mes sentiments si je le revois..."

Son regard s'abîma à nouveau dans les abysses de la rêverie alors qu'elle revoyait l'image de Kinay en son esprit, et elle resta de longs instants ainsi, totalement coupée du monde qui l'entourait.

Soudain, une cloche sonna, venant de loin au-dessus mais faisant vibrer les portes de l'appartement et les pots sur la table. Anya sursauta et regarda à nouveau Silviel, semblant s'apercevoir de quelque chose.

"Oh, je rêvasse, mais l'heure tourne et tu n'es même pas coiffée pour sortir en ville ! Souhaites-tu que je te fasse une coiffure comme la mienne ?"

Silviel, étonnée, tira sur l'une de ses longues mèches et répondit :

"Eh bien.. volontiers... Toutefois, pourrais-tu juste me laisser deux mèches de chaque côté du visage ? Je n'aime pas avoir la figure trop dégagée... J'ai l'impression d'être exposée aux regards."

La jeune elfe sourit en voyant dans la demande de Silviel le reflet de ses propres habitudes.

"Certes ! J'ai hérité moi aussi de cette habitude du temps où je me cachais des hommes de Palerchov, et maintenant même si parfois je dois les attacher en bandeau lorsque je travaille, j'ai toujours ces deux mèches libres, comme tu le vois !"

Elle fit signe à la selesnyane de la suivre dans la salle de bains, et ouvrit l'une des portes de l'armoire - Silviel y aperçut des serviettes et du matériel de bain - pour en sortir un panier contenant tout un assortiment de brosses. Mais Anya s'interrompit et fit :

"Hmm, tes cheveux sont pleins de suie... Vivent les usines des quartiers Rakdos... Attends, je vais te les nettoyer."

Elle remplit le seau au premier robinet, d'où elle tira un jet d'eau fumante, presque bouillante - directement chauffée par une fonderie à quelques rues de là, apprit-elle à Silviel - qu'elle vida dans le baquet, avant de finir de remplir celui-ci au second robinet d'où elle tira de l'eau froide.

"Tu veux peut-être te laver complètement ? Je peux te sortir un savon et une serviette, malgré tous mes efforts Ivan n'a presque jamais daigné utiliser les siennes ou changer ses vêtements, heureusement que de temps à autre je les lui pique pour les nettoyer... Quand je pense qu'avant que j'arrive il ne se lavait jamais... Au moins maintenant il fait plus d'un bain par semaine..."

Silviel frissonna à cette simple idée.

"Jamais de bains ? Harmonie... Quelle conception de l'hygiène sommaire... Heureusement qu'il t'a prise sous son aile alors !"

La chantresse passa sa main dans ses propres cheveux et observa avec découragement la traînée noire laissée sur sa paume.

"Hum, je crois que pour moi aussi une douche complète ne serait pas du luxe..."

Anya inclina la tête.

"Fais-toi plaisir. Il y a tout ce qu'il faut dans le placard, normalement. Je t'attends dans ma chambre. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi."

Elle fit une brève révérence, puis retourna dans sa chambre où elle s'attela à la tâche de rédiger un message pour Khamos.

Citation :: Puissant Chef de Clan,

Je t'écris suite à l'affaire malheureuse qui a déclenché les poursuites engagées contre Toi par la Ligue. En ces lignes je Te propose un moyen d'échapper, probablement définitivement, aux recherches dont Tu fais l'objet.
Je Te propose en effet, à Toi et à Ton compagnon Ekrasios, de mener les Wojek dans un piège. Il s'agirait de faire passer un message faisant croire que je Vous tiens, et qu'ils pourront venir vous chercher contre la récompense (en biens matériels directement, bien évidemment). Ils tomberaient alors dans une embuscade. Le butin serait partagé entre nous.
Tu Te demandes peut-être pourquoi je fais cela. Je fais cela par amitié pour Toi, après les événements dramatiques des Monts de Lyrie, en guise de remerciement pour Toi et Ton serviteur que tu avais mis à notre disposition.
Si cela T'intéresse, rejoins-moi Rue Gognir dans trois jours. J'y serai seule.

Anya.

Elle cacheta la lettre, puis la remit à deux de ses diablotins familiers à qui elle recommanda de la détruire en cas de souci ou dès que Khamos l'aurait lue. Les petites créatures s'envolèrent dans les cieux de Ravnica.

[Hrp :] Silviel, tu peux extrapoler pour ton prochain post jusqu'à ce que l'on revienne chez Vala. [/Hrp]

Une fois s'être débarrassée avec soulagement de la suie récoltée chez les Rakdos, Silviel confia sa chevelure encore humide aux mains expertes d'Anya qui eut tôt fait d'accorder la coiffure de la Selesnyane au style de la robe et au visage de Silviel. Tout en bavardant, elle sortirent de la maison - suivies par les grommellements mécontents du tuteur de la Golgarie - et reprirent le chemin inverse pour retourner chez Vala, heureusement sans croiser les dangereux individus qu'elles avaient aperçus à l'aller. Toutefois Silviel ne put s'empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement lorsqu'elles se retrouvèrent devant la porte de l'amie d'Anya. Celle-ci frappa, et ce fut Vala, et non Dame Vanys, qui leur ouvrit avec un grand sourire.

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