La taverne de Brûlebranche

La femme ne se retourna même pas vers le golgari quand ce dernier lui adressa la parole. Regardant droit devant elle, elle allongea légèrement sa foulée. "Comment oublier un homme tel que vous ? siffla Jade entre ses dents. Sachez que je ne l'ai pas fait pour vous. Votre mort ne m'aurais pas perturbé. Je l'ai fais pour battre celle qui voulait votre peau. J'étais là au bon endroit, au bon moment, voilà tout."
Elle marqua une légère pause, puis reprit rapidement : "Nous nous sommes rencontrés quand vous tentiez de mettre fin à la vie d'une femme au sol. Peut-être même de tuer Silviel Vaomar. Quand j'ai failli moi même vous tuer. Comment pourrais-je tout cela ?"

Elle continua quelque peu ses pas sans sourciller, puis s'arrêta brutalement. Elle retourna alors vers le golgari un regard empreint de mépris, de reproches, ou de haine, il n'arrivait pas exactement à le déchiffrer. Peut-être même les trois. Ses yeux étaient toujours aussi profonds, aussi pénétrant que la première fois, et l'impression de ne rien pouvoir dissimuler à ce regard était encore bien présente.

"Je n'ai pas besoin de vous, vous entendez ? Alors que voulez-vous maintenant ? Simplement me remercier ? Passez votre chemin, les remerciements m'importent peu. Sinon parlez, et vite. Je n'ai pas de temps à vous consacrer."

"Cette femme... Elle n'est rien. Rien d'autre qu'un mercenaire en manque d'argent et de gloire. Elle ne vaut même pas le coup qu'on s'attarde sur elle. Elle marqua une pause, se retourna, et reprit sa marche. Puis elle reprit, d'un ton beaucoup plus calme cette fois. Avez-vous eu une famille ? Avez-vous eu une personne dans votre vie, en qui vous pouviez placer votre confiance et votre amour ? Sûrement oui. Quand bien même vous seriez seul maintenant, vous avez connu cela durant votre enfance. Sinon vous n'en seriez pas là aujourd'hui.
Je n'ai jamais eu cela. Jamais. Je me suis élevée là où je suis par la force de mes bras, j'ai dû braver toutes les lois dictés par mes maîtres. Une esclave... Oui, je crois que l'on peut dire que j'étais une esclave. Silviel Vaomar a été la seul personne a venir à mon aide. La seule personne a venir à mon secours lorsque mes jours auraient pu être comptés. Je lui dois beaucoup. Bien plus qu'à beaucoup d'autres. Et ce qu'elle voudra, je ne m'y opposerais pas. Pas tant que je pourrais laisser faire sans encombres.

Vous n'avez aucune idée de là où je suis prêt à aller si vous vous avisez à toucher un seul de ses cheveux... Aucune..."

Jade

Cruauté, mort... Tout cela remontait dans la mémoire de la gruul plus vite qu'elle ne l'avait pensé. Elle revit les atrocités de sa courte vie. De ses 10 ans enfermés dans sa jolie cage... Comment ? Comment avait-elle pu devenir tout ce qu'elle haïssait ? Comment avait-elle fait pour être arrivée là où elle ne voulait pas aller ? Le désespoir, la haine, la solitude... Tant de sentiments qu'elle connaissait si bien. Trop bien.
**Mais quel est mon problème en ce moment ?** La gruul se plia en deux, les larmes aux yeux, un goût de bile dans la bouche. Cela faisait plusieurs fois que ces affreux souvenirs lui remontaient en mémoire. Plusieurs fois qu'elle n'arrivait plus à résister à leur présence. La dernière fois, elle s'était effondrée, évanouie. Maintenant, des hauts le cœur lui soulevaient l'estomac violemment. Comment avait-elle pu laisser cela arriver ? La femme tomba à quatre pattes au sol, et tapa le sol d'une main, plus fort qu'elle ne l'aurait voulu. Le choc lui remonta dans le bras, et elle sentit ses affreux souvenirs partir avec la douleur. Des larmes de rage et de tristesse coulaient sur son visage. Comme à chaque fois, la douleur effaçait tout. Les maux, les pensées, les nausées...

Jade resta là pendant quelques dizaine de secondes encore, et se releva. Alors qu'elle se redressait, elle porta la main à sa lame, la seule présence qui ne lui faisait jamais défaut. La seule chose à être perpétuellement à ses côtés. Un sourire triste égaya son visage quand elle mit enfin la main sur la poignée de l'arme, et elle se surprit à tout oublier autour d'elle, et à marcher au devant, sans réfléchir. Elle irait jusque là où ses pas la guiderait. Jusqu'à oublier, définitivement.

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Asmodée

Lorsque les deux hommes aperçurent Asmodée au dehors, ils avancèrent d'un pas décidé vers lui. Les deux hommes étaient assez différents l'un de l'autre. Le premier était un homme grand et presque chauve, au yeux d'ébène perçants, enfoncés au milieu d'un visage qui aurait pu prêter à rire si l'impression qu'il dégageait n'inspirait pas la mort à son interlocuteur. La contraste en était d'autant plus fort, et la terreur que l'homme dégageait en était d'encore renforcé.
Le deuxième était par contre totalement différent. Il s'agissait d'une elfe assez petite, aux yeux pétillants de malice. Une chevelure châtain mi-longue lui tombait en bataille sur les épaules, mais laissait son visage dégagé, laissant voir ses traits agréables, et même plutôt jolis. Son visage était assez fin, et chaque membre semblait à sa place. Ses lèvres rouge cerise étaient légèrement plus proéminentes sur son visage. Les deux personnes étaient habillés avec une certaine classe, et l'elfe semblait sourire alors qu'elle s'approchait d'Asmodée. L'autre gardait par contre un regard inflexible.

"Et bien, bien que nous sachions qu'il s'agissait d'un piège, je ne pensais pas qu'il allait y avoir autant de monde d'impliqués ! lança la voix grave de l'elfe. Sa voix trahissait d'ailleurs son excitation et son caractère moqueur. Mais, cette alliée providentielle nous fut d'un grand secours. Sans elle, le combat risquait d'être rude. Mais heureusement, vous étiez là, vous et vos capacités surhumaines, finit-elle dans un sourire malicieux, sur un ton entre ironie et admiration. Asmodée sentait qu'il plaisait à l'elfe en face de lui, mais il préféra ne rien laisser paraître, et se tourna vers l'homme au visage toujours aussi grave, qui le mettait plus mal à l'aise qu'autre chose.

"Bien. Maintenant, nous pouvons parler sérieusement. Alors qu'il prononçait ces mots de sa voix nasillarde et horripilante, il tourna un regard indescriptible vers la golgari à ses côtés, qui préféra alors se faire discrète pour le reste de la conversation, un air légèrement gêné sur le visage. Travailler avec vous est un grand plaisir, messire Baxu, mais vous comprendrez que cette affaire ne révèle finalement rien. Malgré toute votre bonne foi, nous avons failli perdre plusieurs hommes importants ici. Nous ne pouvons laisser une telle chose se produire. La prochaine fois que cela arrivera, vous risquerez de devoir faire équipe avec un autre que vous-même. Je suppose que vous comprenez. En attendant que j'aille donc faire mon rapport et que nous statuions du danger qui vous guette, et de la protection qui vous est nécessaire, nous sommes toujours à vos ordres. Je pense que les autres vont maintenant rentrer dans la citerraine. J'ai envoyé un messager les prévenir. Nous serons bien assez de trois. Nous avons donc là la femme qui a essayé d'attenter à votre vie. Nous vous écoutons. Il se tut, mais reprit rapidement après : Et, j'ai failli oublier, il va falloir que nous parlions de cette femme au cheveux blancs - ou blonds, je ne sais pas - que vous êtes allé voir. Je pense que vous comprenez là aussi."