Ouvrir un portail vers le Quartier Fantôme ?

Les trois jeunes femmes arrivèrent enfin en vue de la demeure de Markus Darkmore. La gruul et la selesnyanne s'étaient laissées guider à travers le dédale des rues Orzhovs afin d'aller trouver le prince des esprits. La route n'avait pas été excessivement dure, si ce n'était quelques mauvais regards en direction de la gruul à de nombreuses reprises. De tels primates n'avaient rien à faire ici. Eux qui s'opposaient à tout le raffinement Orzhov... A plusieurs reprises, Jade eut la fâcheuse impression que les personnes qu'elle croisait la reconnaissait, mais aucun ne sembla prêter plus d'attention que cela à son cas. Malgré tout, remettre les pieds en territoire Orzhov, ce n'était plus arrivé depuis plus de six mois, et tout son être était tendu à l'extrême. Et malgré les bonnes attentions de ses deux amies, elle n'arrivait pas à retrouver son calme. Trop de souvenirs enfouis resurgissait à l'improviste, au détour des rues. Ici et là, elle revoyait sa stature imposante au dessus d'un cadavre, son épée teintée de sang, une lueur de folie au fond des yeux ; ou les chasses qu'elle avait pratiqué avant de s'enfuir. Elle rejetait tout dans cette vie. Elle n'était qu'un assassin. Voilà ce qu'elle avait fui.
La nécromage et la chantresse ne ressentait pas de tels problèmes pour leur part. La perspective du futur n'était pas réjouissante, mais elle suffisait à leur fixer un but. Pour la gruul, elle ne savait pas ce qui lui avait pris d'accepter. Agyrem... Elle retrouverait à coup sûr son père. Peut-être même ses pères...

Plongée dans ses réflexions, la guerrière ne vit pas le temps passer jusqu'à l'arrivée devant la demeure de l'homme qui les amènerait dans le domaine des morts. La maison était immense, à l'image de celle des familles nobles, et la réponse ne se fit pas attendre lorsqu'Anya sonna. Après quelques instants d'attente, un homme finit par ouvrir la porte. Il se présenta comme le majordome du seigneur des lieux, et les invita à attendre dans le salon une fois que la golgari eut fini d'expliquer la situation dans laquelle il se trouvait. Markus Darmore n'était pas encore là, mais il devrait arriver sous peu. L'attente fut donc accompagné d'une boisson simple, mais rafraichissante, et Vuliev, le majordome, laissa les trois femmes dans la salle.

Jade s'assit sur un fauteuil pensé à cette attention, et se laissa aller à contempler la pièce. De nombreux souvenirs de sa vie qu'elle avait abandonné lui revenait, et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle aurait tout donné pour grandir normalement, loin des traitrises Orzhov. Loin des affaires de sa famille adoptive. Malgré tout, lorsque son esprit vagabondait, elle se posait souvent cette question : valait-il mieux la vie qu'elle avait maintenant, et ce grâce aux Palerchov, ou aurait-elle dû mourir, après que son père l'ait vendu ? Car c'était la seule chose dont elle se souvenait : son père l'avait vendu. Son esprit avait effacé le reste. Jusqu'à la rencontre avec Anya...
Elle finit par se concentrer sur les tableaux qui ornaient la pièce, et se mit à fredonner à voix très basse une chanson qu'elle ne connaissait même pas de manière consciente. Un acquis inconscient, dont elle connaissait les paroles, mais était incapable de les réciter autrement qu'en chantant. La chanson traitait de la vie, trop courte, de la mort des êtres qui sont chers, ainsi que d'un avenir sombre sans lendemain, ou le seul salut résidait dans la guerre et le sang. Malgré tout, elle aimait cette chanson. Sa propre voix résonnait dans son esprit, et apaisait ses craintes. Elle lui rappelait une femme qu'elle ne connaissait pas aux cheveux étrangement blancs et au sourire triste tout comme le sien. Une femme qu'elle n'avait jamais vu, mais qu'elle connaissait étrangement bien. Une femme qu'elle trouvait magnifique.

A la fin de la chanson, elle finit par s'extirper de ses pensées, et se retourna vers ses deux compagnons, un demi-sourire, à la fois sincèrement heureux et triste éclaira son visage.