Le secret de l'Abricot

Elle pouvait partir. Elle pouvait simplement tourner les talons et partir, sans un regard en arrière. Elle était libre et ne lui devait rien. Elle n'avait pas à risquer sa vie pour lui. Ces pensées traversèrent son esprit en une fraction de seconde, sans qu'elle n'y prête une forme quelconque d'importance. Elle les chassa comme on chasse un insecte agaçant, refusant catégoriquement d'envisager de fuir. Au contraire, elle fit apparaître un nouveau pyromana et, sans s'extasier devant la beauté dangereuse du mana rouge, se concentra pour refaire tomber une pluie d'abricots incandescents.

* J'espère que Nesh va apprécier le spectacle ! *

Elle ferma les yeux un instant en imaginant la chaleur brûlante et les cris de douleur mais les rouvrit bien vite, déçue. Décidément, ce sort n'était pas fait pour elle ! Beaucoup d'abricots tombèrent à côté, et n'eurent même pas le bon sens de mettre le feu au sol -Tari considérait cela comme étant de la mauvaise volonté pure et simple ; ils auraient pu enflammer le chariot enfin !- et les malheureux qui daignèrent toucher les morts-vivants ne les enflammèrent même pas. C'est à peine si les cadavres ambulants se sentaient concernés. La jeune fille ne put retenir un grognement de frustration, navrée de voir le faible effet qu'avait eu son sort. Toute à son désappointement, elle ne vit pas tout de suite le regard du Rakdos posé sur elle. Elle mit plusieurs secondes à se rendre qu'il la fixait avec intensité, et ne put s'empêcher de se sentir ridiculement petite en croisant ses yeux.
Un nouveau claquement de doigt et un nouvel ordre tomba, sec et -ironiquement- froid.

"Attrapez-la."

*Eh merde...*

Subitement, alors même qu'elle n'avait aucun moyen de se défendre face aux esclaves qui se détournèrent de son ami pour se diriger vers elle, elle eut une irrésistible envie de rire. Elle était joyeuse, face au danger. Elle se sentait vivante, d'une manière que seuls ceux qui ont déjà côtoyé la mort peuvent comprendre. Elle avait envie de jouer avec le feu, dans tous les sens du terme, de tenter, provoquer, risquer, narguer, et s'en sortir en faisant un joli pied-de-nez à la mort qui la guettait. Elle n'avait jamais connu autant de danger, autant d'excitation, ne s'étant jamais réellement impliquée pour quoi que ce soit, elle n'avait jamais rien eu à défendre ni de raison pour laquelle se battre. Et là, tous ces sentiments qui explosaient l'enivraient. C'était une chouette journée, plein de nouvelles choses ! Mais, aussi joyeuse qu'elle pouvait l'être, elle savait qu'elle était mal. Elle n'avait qu'une robe légère sur elle, et Abracadabra, bien sûr. Ce n'était franchement pas l'idéal...
Détachant son regard des zombies pour observer le démon, elle vit sa dague plantée dans son bras. Et elle arrêta de penser.
Elle passa alors en action, ses yeux semblant ne pas vouloir voir autre chose que cette arme qui n'appelait qu'elle. Les zombies étaient lents, elle n'eut aucun mal à esquiver le premier, laissa les bras du second se refermer dans le vide, passa sous le troisième... Elle était confiante. Trop confiante. Toute à son euphorie, elle ne vit pas les deux autres zombies. Ils l'attrapèrent avec une facilité qui était presque insultante. Ils étaient tous les deux grands ; l'un d'eux l'empêchait de voir le Rakdos, il avait visiblement décidé d'occuper tout son champs de vision, ce qui permit à Tari de l'observer et de constater que c'était probablement un ancien esclave elfe. Dommage, elle aimait bien les elfes. Ils avaient de jolies oreilles. Mais celles de celui qui la tenait, elle n'aurait aucun scrupule à les découper.

* Sauf que tu t'es fait avoir et que tu ne peux plus rien faire... Ca c'est du sauvetage !*

Une main froide comme la pierre et presque aussi solide tenait le poignet de Tari, la seconde d'après, c'est trois autres mains qu'elle sentit la saisir d'une poigne féroce, aux épaules et à la hanche. Puis on la souleva comme si elle n'avait été qu'un fétu de paille. On la tenait maintenant aux chevilles et aux poignets, bien en l'air. Elle voyait très bien tous ce qui se passait, et ne fut pas déçu du spectacle :

Déjà cerné, Nesh semblait avoir laissé les morts l'approcher sans réagir. Tari comprit qu'il méditait quand elle entendit, légèrement plus fort que le bourdonnement qui les avaient précédé, quelques mots s'envoler vers elle  « … 'ishka-soran ! »
Puis il disparut quelques secondes, et la fille aux abricots eut droit à une démonstration de ce qu'est l'art du combat avec une lame : à une vitesse ahurissante, Nesh zigzaguait entre les esclaves, leur tranchant chaque fois les jambes et les bras, parfois la tête. Il semblait avoir sortit son arme de nul part : un sabre flamboyant qu'il maniait à la façon des danseur-sabre de Selesnya. L'instant d'après, il fonçait vers Tari, la libérant des entraves qui la retenait de la façon la plus efficace qui soit : en tranchant les poignet de tout les bras qui la retenaient. Il s'arreta toutefois juste après, lorsque tari retomba sur ses pieds dans un mouvement fluide.

« Ouh...Tari...C'était bien, hein ? » Et sur ces mots, il tombe aux pieds de la jeune humaine, inconscient.

Mais tari avait un autre problème plus épineux. Le Rakdos la fixait, l'air furieux.

« Mes esclaves ! Vous allez payer ! »

Il prit tout son temps pour canalisé deux pyromana dans sa main, qu'il fit tournoyer avant de les envoyé dans son immense épée. Elle se mit aussitôt à rougeoyer, et il ne faisait aucun doute qu'elle était brûlante : la main du Rakdos qui la tenait commençait à fumer, et une odeur que Tari connaissait bien, semblable à la viande de porc trop grillée, se fit sentir. Le regard plein de rage, il hurla encore:

« Vous allez payer ! »

Presque instinctivement, Tari canalisa un pyromana à son tour. Il fallait qu'elle trouve une solution, vite. Elle songea à emprunter le sabre de Nesh -après tout, il n'en avait pas tellement l'utilité- mais elle écarta rapidement cette idée folle. De fait, le sabre en question avait disparu... Avait-il seulement existé ? Tout s'était passé si vite, il se pouvait fort bien qu'elle ait rêvé.  
Soudain, quelque chose bougea dans sa poche. Quelques secondes plus tard, Abracadabra voletait devant sa créatrice. Après tout, son rôle n'était-il pas de la défendre ? Elle ne réfléchit pas plus et envoya son mana flamboyant dans son abricot volant. Puis elle jeta ce dernier de toutes ses forces sur le démon qui la menacait et qui, voyant cette boule brûlante se diriger vers lui, tenta vainement de parer l'attaque. Vainement, car l'abricot était vif, et l'énorme épée ne suffit pas à arrêter sa course. Il commença à voltiger autour de la tête de son ennemi, essayant d'atteindre ses yeux sans jamais les toucher. Si elle n'avait pas été en danger, Tari aurait trouvé le spectacle du géant se débattant contre l'abricot comme on essaie de chasser un moustique vraiment très drôle - à la différence près qu'Abracadabra était plus agressif qu'un moustique. Sauf qu'elle était en danger. Et que l'abricot ne retiendrait pas l'attention du Rakdos éternellement.
La jeune fille se pencha alors vers son ami, en espérant réussir à le réveiller.

"Hey, Nesh, ce que tu as fait c'était vraiment chouette, j'ai beaucoup apprécié, mais le spectacle est loin d'être fini ! Ce serait dommage que tu loupes la partie la plus drôle, non ? Allez, quand on joue, on joue jusqu'au bout !"

Ce faisant, elle jeta un regard aux alentours, essayant de trouver quelque chose susceptible de l'aider. Elle ne constata que quelques personnes qui s'agglutinaient en masse autour d'eux, faisant fi des dommages possibles. Ils n'étaient pas prêts de l'aider. En revanche, ils discutaient entre eux avec véhémence. Tari ne mit pas longtemps à comprendre qu'ils pariaient... sur l'issue du combat. Et de toute évidence, elle n'était pas favorite !
Ce simple constat la rendit folle de rage. Ils ne savaient pas ce qu'étaient la vie ! Ils se laissaient aller, se déchiraient entre eux, se battaient pour leurs petits intérêts minables, faisaient des contrats, se trahissaient ensuite, se mentaient... Ils suivaient le plan, l'ordre établi, les conventions. Ce même ordre qui disait qu'une semi-elfe ne pouvait pas vaincre un Rakdos. Mais Tari était plus que le croisement d'un elfe et d'une fée élevée parmi les explosions et les machines étrangement dangereuses, et elle était libre. Elle n'obéissait qu'à une celle règle, celle qui lui disait de vivre sa vie comme elle l'entendait, la seule règle à laquelle dérogeaient tous ceux qui respectaient l'ordre. Ce n'était pas les enfants de Ravnica. Et elle vivait plus fort qu'eux. La jeune fille semblait se réveiller d'un long sommeil. Elle avait gardé sa folie pour elle, perdue dans sa solitude, inconsciente de ce qui se passait autour d'elle. Mais aujourd'hui... aujourd'hui, tout était différent. Un feu nouveau brûlait dans ses veines, un feu nourri de rage, de solitude, mais aussi de passion et d'euphorie. Liberté. Elle s'était libérée des dernières chaînes qui l'entravaient et méprisait ceux qui s'enchaînaient volontairement. Alors qu'ils pouvaient courir, danser, crier, ils préféraient se terrer, cacher dans l'ombre pour comploter... et parier.
Tari voulait vivre. Et son instinct de survie lui hurlait qu'elle n'avait aucune chance face au Rakdos, démunie comme elle l'était, et qu'il valait mieux qu'elle tente de se placer, ainsi que Nesh, en sécurité. Mais elle était fière aussi, et voulait faire mentir les paris qui couraient autour d'elle. Elle allait jouer le jeu jusqu'au bout ; la sécurité n'avait plus de sens, désormais. Alors elle se campa devant son ami encore inconscient, adopta une posture protectrice et prit sa voix la plus provocante possible.

"Alors mon grand, le petit abricot t'embête ? Tu voudrais un adversaire plus... à ta taille ?"

*Si c'est le cas, je risque de pas faire l'affaire !*

Un grand sourire hilare barrait son visage. Elle vivait plus fort.

*Ah ben oui, ça aurait été trop beau pour être vrai...*

Tari ne prêta pas attention à la douleur dans son poignet gauche, et se concentra plutôt sur la main droite, dont elle avait refermé les doigts sur la dague.

*Je te tiens petite !*

Elle s'y agrippa de toutes ses forces et essaya tant bien que mal de la retirer de son logement. Malheureusement pour la jeune fille, la dague était fichée dans le muscle et tous les tissus avaient eu largement le temps de cicatriser. Aussi l'arme ne bougea qu'à peine. Et encore, peut-être était-ce juste une illusion... Tari se rendit rapidement compte que le Rakdos n'avait pas eu la complaisance d'attendre qu'elle ait fini -d'essayer- d'enlever sa dague pour se relever. Elle était suspendue dans les airs, collé à un démon pas content. Elle sourit et ne put retenir un murmure légèrement moqueur.

"Je savais pas que tu aimais les câlins..."

Sa phrase s'achevait à peine qu'elle fut éjectée à deux mètres de là. Après un joli vol plané de deux mètres, elle atterit dans la carriole. Elle l'observa un bref instant et poussa un grognement, déçue. Que des planches de bois clouées. Rien qui puisse lui être utile.
Elle se releva en grommelant et épia son ennemi. Il semblait l'avoir totalement ôtée de son esprit, tout occupé qu'il était à chercher du regard celui ou celle qui avait osé lui envoyer une flèche. Flèche qui était en l'occurrence plantée dans le sol, brisée. Préférant profiter de cet instant e répit accordé par un sauveur inconnu, Tari se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire. C'était donc ça qui l'avait fait trébucher ! Décidément, ce gros lourdaud frôlait le ridicule.
Balayant la ruelle du regard, elle avisa Nesh toujours étendu par terre, inconscient. Elle soupira puis se releva d'un mouvement souple, pas plus perturbée que ça par le coup qu'elle venait de recevoir. Se mouvant le plus discrètement possible, la Sans-Guilde atteint son ami et l'empoigna par les épaules. Puis elle le traîna jusqu'à la carriole, le dérobant ainsi au regard du Rakdos.

"Allez, debout ! Sinon, je fais mes explosions sans toi."

Disant cela, elle caressa du doigt Abracadabra qui était revenu se lover contre sa maîtresse, sa tâche accomplie. Un pyromana éclaira ses yeux violets d'une lueur étrangement belle et inquiétante, qu'elle fit jouer autour de ses doigts quelques instants avant de l'envoyer dans son fidèle abricot. Elle retint son ami tout frétillant de repartir à la charge, lui susurrant que le moment n'était pas encore venu.

Inerte sur le sol, Nesh n'eut aucune réaction aux sollicitations de son amie. Le seul mouvement perceptible était celui de sa poitrine, se soulevant énergiquement à un rythme régulié, quoi que plus calme que lorsqu'il s'était écroulé.
Ne trouvant pas son mystérieux assaillant, le géant écuma de rage et entreprit de passer sa frustration sur ce qui était à sa portée : Tari.

« La peau de ton dos me fera un nouveau pagne ! »

Il ne fit qu'un pas et déjà la fille aux abricots était à portée de son terrible tranchoir brûlant. Lorsqu'il leva son arme, Tari sentit un souffle chaud et un parfum de rouille. Au moins sa mort aurait-elle le parfum d'une bombe...
Mais une nouvelle flèche interrompit le mouvement de son bourreau, et tandis que les yeux de la jeune fille se levèrent sur le visage grimaçant du monstre, elle l'entendit hurler, si près, trop près d'elle :

« Rien ne te sauvera de moi ! Pour Rakdos ! »

Et les yeux de la jeune fille se fermèrent. Un bruit d’explosion se fit entendre, une détonation très faible et un immonde bruit gluant, comme si l'on perçait une bulle de cytoplasme avec une aiguille. La petite pyromane fut instantanément couverte d'un liquide chaud et poisseux dont l'odeur ne laissait aucun doute quant à la provenance.
Tout en essuyant le liquide qui coulait dans ses yeux afin de les ouvrir à nouveau, elle entendit un mouvement de foule. Les badauds partaient et une partie d'entre eux s'insultait. Certains hurlaient à l'injustice et d'autres riaient. Puis ses yeux lui révélèrent une marre de sang à ses pieds, sur ses vêtements, ses mains... Et le Rakdos, qui la regardait les yeux exorbités, comme si la surprise l'avait figé dans le temps.

Et quelle surprise pour ce bougre : son bras était au sol, tenant toujours fermement son arme et une déchirure des plus sale débutait à son épaule. Tous les tissus avaient été déchiqueté, l'os brisé en éclat (que l'on voyait fiché dans les muscles autours) et la chair pendait encore. Son bras avait littéralement explosé. Aussi surprise par cet étrange spectacle que son assaillant, Tari ne vit pas son autre bras, le poing serré en une masse compact de chair et d'os furieux, lui arriver dans les côtes du coté gauche. Elle ne fut pas projeté aussi loin que la dernière fois : le coup était sec, plein de rage et très rapide. Elle s'empala presque sur le poing, si fort qu'elle sentit ses cotes se brisées et son souffle se coupé, elle se sentit comme tordue tout entière pour imprimer ce poing géant dans son âme. Elle s'écroula dans le m^me mouvement, incapable d'encaisser un tel choc.

Rapidement, Ishmael atteint l'endroit indiqué par la pierre. Plusieurs ruelles sombre se retournaient les unes sur les autres en un enchevêtrement labyrinthique déconcertant. Sa boussole rougeoyante l’emmena dans le plus insignifiant recoin de ce cauchemars architecturale décrépit. Là, dans l'ombre, il vit deux choses. Sur les pavés humides et sales se trouvait allongée une jeune fille, elle semblait dormir, son souffle régulier soulevant son ventre paisiblement. On avait disposé là son corps après l'avoir porté, il pouvait le voir à ses bras posé le long du corps et à sa tête posé sur un sac de toile. Personne ne s'endort ainsi.
Il distinguait des traces de brûlures sur ses mains et une tache de sang au niveau des cotes flottantes. Un rude coup avait du lui être porté.
Plus loin, un jeune homme aux cheveux roux veillait sur elle, les bras croisés. La culpabilité et le remord se lisaient sur son visage comme si celui-ci était le reflet même de ses émotions. Son regard légèrement flottant et énergique lui donnait aussi un air halluciné, de sorte qu'on avait immédiatement le sentiment d'avoir affaire à une personne instable.
Le jeune homme ne bougea pas, mais dans son dos Ishmael entendit un léger sifflement et se retourna. Un Vashino, puissamment musclé, aux traits du visage tirés et agressifs, tenait une arbalète chargée braqué sur lui.

« Tu as son odeur, humain. Et tu sens aussi les égouts. Yarkol s’est perdu en chemin ? »

Ses yeux minuscules et enfoncé dans leurs orbites le fixaient, et son étrange langue fourchue se baladait de droite à gauche de façon frénétique, provoquant le sifflement agaçant qui l'avait fait se retourné à chaque expiration.
Lorsqu'il vit la pierre brillante dans les mains du jeune homme, il baissa son arme. Les cristaux rouges incrusté dans le métal sombre de l'arbalète luisaient doucement, et quelques crépitements électriques s’échappaient parfois des clapets métalliques du manche. Cette arme devait être en elle même extrêmement puissante et celui qui la portait se devait, en retours, d'être tout aussi efficace, sans quoi quelqu'un de plus avisé lui aurait volé.

La question de l'homme-lezard flottait dans l'air tandis que la réponse d'Ishmael se faisait attendre. Une étrange atmosphère flottait ici, mais de toute évidence, rien qui ne mérite un sauvetage urgent. Pourquoi avoir maintenu le signal si le combat était terminé ?

[Hrp/ Ordre de post: Ishmael=> Tari=> Moi. Tari, ton intro "Solo" est terminée! Tu es plus qu'officiellement membre du forum maintenant qu'un autre PJ est avec toi. Merci de ne pas vous faire le ême batême que moi, on évite de tuer un PJ lors de sa première quête Enjoy!/Hrp]

Je suis finalement arrivé à l'endroit où Yarkol tenait à aller au point de risquer sa vie, et il ne semble pas y avoir d'urgence. Pourtant, une lourde tension est clairement perceptible. J'examine la créature qui me fait face. Viashino, la race ophidienne. A l'apparence reptilienne (les écailles vont du rouge au noir en passant par le brun et le vert terreux), elle compte peu d'intellectuels mais ses membres sont tous versés dans un art du combat, de par leurs penchants belliqueux. Ils sont pour la plupart mercenaires, voire même esclaves.
Je fais taire la voix dans ma tête, et reprends mon observation.
Le Viashino est plus grand et bien davantage musclé que moi. Il possède des écailles cendrées dont l'apparence signale qu'il se trouve au beau milieu de deux cycles de mue.
Il est difficile de déterminer l'âge d'un représentant de cette race, mais la voix m'indique l'équivalent d'une quarantaine d'années humaines.
Son accoutrement est étrange. Ses bottes et ses gants sont d'évidence faits de première main, mais le reste de ses vêtements ont tout l'air de loques de mendiants. Il ne semble pas avoir d'autre arme que son arbalète, mais il pourrait avoir caché n'importe quoi sous ses hardes.
Je devrais avoir peur, sans doute, et mon pouls accélérer. Pourtant, calme, je réponds.
-Yarkol mettait sa vie en danger pour parvenir jusqu'ici. Sachant qu'il ne m'écouterait pas, j'ai décidé malgré tout de le mettre autant à l'abri que possible, et de poursuivre ma route seul.
Je me retourne presque malgré moi vers la jeune fille, allongée près du garçon au cheveux roux. Pour autant que je peux le voir, on s'était occupé d'elle du mieux que possible.

La conscience s'éveilla la première. Elle entendit des voix. Perçut des présences. Un regard qu'elle devinait curieux posé sur elle. Et la douleur, dont elle avait regretté la disparition. Dans les côtes, là où le démon l'avait frappée. Les mains, elle avait l'habitude. Elle joua un peu à éveiller ses sens, gardant les yeux fermés ; elle voulait savourer ce bref moment de répit avant de repartir dans une autre aventure inconsidérée. Elle grimaça en songeant à ses dernières actions -bon sang, qu'elle avait été stupide !- et ses paupières battirent laborieusement.
Face à elle se trouvait un enfant qui lui était inconnu. C'était à lui qu'appartenait le regard curieux. Ce genre de regard aurait pu la gêner, voire l'agacer -elle n'avait pas l'habitude que quelqu'un fasse attention à elle- mais ses yeux à lui n'étaient pas intrusifs. Alors elle lui dit bonjour. Elle tenta de se relever, failli chanceler parce que sa tête lui tournait encore et que son corps restait faible, et finit par se rasseoir tout à fait.

"Qui es-tu ? Et que fais-tu là ? Sais-tu où est... Oh !"

Ses pupilles papillonnantes venaient tout juste d'apercevoir Nesh. Elle se leva d'un bond sauvage et se précipita vers lui, faisant fi des protestations de ses côtes.

"Tu étais réveillé hein ? Tu as vu les étincelles ? Elles étaient si belles ! Plein de jolies couleurs ! Et Abracadabra, tu l'as vu ? J'étais fière de lui, il nous a bien défendu ! Tiens, il est où au fait ? Et toi ! Ce que tu as fait, ta façon de te débarrasser de tous ces esclaves, c'était génial ! Il faudra que tu m'apprennes tout ça. Il faudra que j'apprenne ça, et plein d'autres choses encore !"

Soudain, un éclair d'inquiétude traversa furtivement son visage. Critique, elle le détailla de la tête aux pieds, et fronça les sourcils.

"Tu vas bien ? T'es tout pâle. Et pour le Rakdos, ça s'est fini comment ?"

Puis elle sembla soudain traversée par une illumination. Elle se tourna vers l'enfant qu'elle avait interrogée sans lui laisser le temps de répondre et l'apostropha de nouveau.

"Toi ! Tu es venu nous aider, c'est ça ?"

Et elle se décala légèrement en arrière, de sorte à pouvoir voir les deux garçons, se demandant lequel répondrait en premier.

*Décidément, je parle trop..."

Ishmael pouvait le sentir dans l'air. Un lien existait entre eux tous mais il ne comprenait pas lequel. Comme dans une équation ésotérique, il pouvait sentir vibré les inconnues autour de lui sans parvenir à fixé le moindre paramètre réel. Il sentait le lien dans les manières de l'homme lézard, mais c'était lointain, quelque chose dans sa voix, dans son regard, quelque chose d'amère qu'il semblait transpirer. Puis il le vit clairement lorsqu'à peine éveillée, la jeune fille s'était mise à poser des tas de questions, lorsque ses yeux s'étaient mis à virevolter, lorsqu'enfin son flot de parole chanta vers son ami l'éloge d'un massacre. Le lien était là, cristallisé dans ce comportement insouciant, déraisonné mais logique, naturel pour eux, incompréhensible aux autres.
Lorsqu'il croisa le regard de Nesh, il comprit. Ses yeux fous hurlaient et riaient en même temps, son âme entière transmettait ce qu'aucun mot ne pourrait jamais transmettre d'un cœur à un esprit. Les yeux de Nesh voyaient vraiment Ishmael. Ni un enfant ni un adulte, pas tout à fait un fou, pas plus cruel que n'importe quel humain, pas plus saint qu'un Rakdos non plus. Un être vivant au cœur sauvage et à l'âme blessé, mais animé d'une foi inébranlable en quelque chose d'abstrait. Et Ishmael le voyait aussi. Nesh était son frère, cette fille était sa sœur, ces gens étaient sa famille, son sang, ses semblables. S'il y avait une race libre et prisonnière à la fois, alors ils en étaient tous. Il sentait en eux la même chose qu'il avait senti chez Yarkol, comme si chacun d'entre eux recelait quelque chose qui ne formait qu'un tout.

Nesh répondit à Tari :

« Je me suis réveillé hier seulement... C'est Keïrr'sh qui a... Il va te montrer. »

Le Viashino s'avança, et tendit sa main écailleuse, d'un brun verdâtre délavé orné de griffes crochues et impeccablement taillée. Comme hypnotisée, la fille aux abricots fixa le reptile humanoïde. Elle ouvrit la bouche sans qu'ancun son ne sorte et ses yeux se révulsèrent. Manifestement, elle entrait en transe.

La jeune pyromane eut très froid et se sentit vide, comme si son esprit quittait son corps. L'instant d'après elle voyait défiler le combat qu'elle avait mené plus tôt avec Nesh, mais de très loin, comme au travers des yeux d'un aigle.
Elle vit distinctement une arbalète, celle du Viashino, tiré trois coups distincts. Ils n’atterrirent pas au même moment, comme si les flèches voyageait non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. Elle vit chaque résultat de l'impact au ralentit : Le premier coup, elle l'avait reconnu : c’est la flèche tombé à terre qui avait déséquilibré le Rakdos. Le second était le projectile explosif qui lui avait arraché le bras. Le dernier coup en revanche s'abattit sur le monstre alors qu'elle se voyait inconsciente : une flèche en pleine tête fit exploser sa cervelle. Elle vit ensuite le Viashino arriver sur place, incendier les lieux en un torrent de flammes démentielles, éliminant une dizaine de témoins du même coup, et traîner son corps ainsi que celui de Nesh pendant un moment, avant que la vision ne se trouble et qu'elle ne voit réapparaître Nesh et Ishmael à coté d'elle.

Keïrr'sh siffla alors entre ses dents:

« Voila, tu sais comment ça s'est passer. Maintenant que tu es réveillée, on va pouvoir mettre certaines choses au clair. »

Ses yeux passaient d'un gamin à l'autre, comme s'il ne savait pas bien quequel s'adresser en premier. Il sembla néanmoins choisir Tari.

« Yarkol a... Oh, tu ne connais pas Yarkol, c'est ça ? Peu importe. Vous savez comment vivre longtemps ? Bien sûr que non, sinon je n'aurais pas eu à vous sauver les miches. On vit longtemps en étant le plus puissant. Chacun d'entre vous à prouvé cent fois au cours de sa vie qu'il fallait être puissant pour survivre, mais aucun d'entre vous n'a vraiment marqué son potentiel avec une lame aiguisée. Vous savez ce que vous êtes ? Des asticots. Vous grouillez sur Ravnica et la seule raison pour laquelle vous respirez c'est que vous gigotez trop pour qu'on vous écrase. Mais vous allez grandir et devenir des vers des sables, et alors là... Quand vous serez aussi fort que vous puissiez l'être... »

Ses yeux pétillaient, mais son ton restait incroyablement plat, comme s'il était incapable d'exprimer ses émotions avec sa voix.

« Oui, là, vous serez libre de croquer Ravnica comme si c'était une pomme bien mûre. »

Il les couva d'un regard qui se voulait chaleureux et bienveillant, mais sa pupille verticale et sa façon de hocher la tête en sifflant de sa langue fourchu lui donnait plutôt un air sadique.

« Alors tachez de rester discret jusqu'à ce que vous soyez assez puissant. Ou restez grouper, ça vaut mieux que de se faire éliminer un à un. Comme je le disais, Yarkol à des projets pour les têtards perdus que vous êtes. Parce que lui quand il était perdu, quelqu'un lui a tendu la main...Enfin, le fouet, mais c’est une autre histoire. Quelqu'un l'a aider et il veut aider aussi... Même s'il voit un peu loin pour un elfe. »

Il resta planter devant eux, l’arbalète à la main , le regard vif, prêt à répondre à toute leurs questions et à leur raconter pleins d'histoires comme un bon grand père un peu bourru. Sauf que lui était un homme lézard très grand aux dents et aux griffes acérées armé d'une arbalète magique et d'un tas d'autre chose qu'il valait peut-être mieux ignoré.
Nesh regardait le reptile avec des yeux troubles. On lisait sur son visage qu'il trouvait ici le seul réconfort dont il avait besoin, et nul doute que si Ishmael et Tari n'ouvraient pas la bouche, alors il briserait le silence ne serais-ce que pour éprouvé le fait qu'il n'est plus seul. Avait-il trouver le dernier repère qui lui manquait pour prendre son envol ?

Tari avait canalisé un pyromana qu'elle avait ensuite envoyé dans son abricot volant, écoutant d'une oreille distraite les paroles du Viashino. Elle n'avait pas envie de se laisser surprendre une nouvelle fois, alors elle prenait ses précautions. Elle s'intéressa à ce qui se passait autour d'elle qu'au moment où l'enfant lui posa une question, avant d'interroger Keïrr'sh, dont elle écouta attentivement la réponse.

" Qui sommes nous? Cela dépendra de nos actions. De ce que nous imprimerons dans les esprits. Nous ne sommes pour l'instant que des âmes folles regroupées. Tu veux nous donner un nom? Choisissons en un."

Si le début de l'échange avait attisé sa curiosité sans qu'elle ne se sente véritablement concernée, la dernière sentence de l'homme-lézard la perturba. Ne se cantonnant plus au rôle de spectatrice, elle ne laissa pas le temps à Ishmæl de répondre.

"On n'est plus les enfants de Ravnica ? Je croyais que c'était comme ça qu'on s'appelait ! Pourquoi chercher un autre nom ? J'aime bien celui là, je le trouve... juste. Sinon... on pourrait s'appeler les Abricots ! Peut-être ? Ou alors... En fait, je trouve pas ça très important, de savoir quel est notre nom, au moins nous savons que nous sommes, et nous savons que nous sommes ensemble. Par contre, j'aimerais vraiment bien rencontrer ce Yarkol, du coup je propose qu'on aille à sa rencontre -bien que je n'aie aucune idée de l'endroit où il est, je compte donc sur vous- et qu'on discute de cette histoire d'identité en chemin ! On pourra peut-être évoquer le cas des raisins, au passage..."

Nesh, qui dansait d'un pied sur l'autre, visiblement très emballé, s'exclama sans plus de retenu :

« Les Abricots c’est bien aussi ! Mais moi Yarkol il m'avait dit... Oui, il m'avait dit ça
« Des cendres au vent, un brasier sombre
Silencieux et omniscient de par leur nombre
Des marres de sang restant dans l'ombre
Nous leurs ouvriront les yeux
Les flammes atteindront même les cieux
Ils détruiront les Faux-Dieux
Unis en un cris, le sol tremblera sous nos pas
Même le dernier des démunis marchera fièrement jusqu'au trépas
Car toi et moi mon jeune ami, sommes Les vrais fils de Ravnica. »

Et après il a parlé du chaos et d'autre choses, mais j'avais faim alors j'ai pas écouté. »

L'homme lézard sourit.
« Les fils de Ravnica. Eh bien, adoptons ce nom, alors. Nous devons effectivement rejoindre Yarkol. Ishmael, tu sais où il est ? Nous te suivons. »

Nesh lança un sourire à Ishmael, les yeux brillants.
« Mais sinon, c’est quoi le truc avec les raisins ? »

J'ai écouté Nesh avec attention. C'est curieux, mais j'ai reconnu yarkol dans ce qu'il a répété. "Les fils de Ravnica". Oui, ça sonne bien. Et je suis sûr que j'ai entendu yarkol utiliser cette formulation. Mais il faudrait quand même aller le retrouver, maintenant que j'ai appris qu'il n'y avait pas d'urgence. J'allais en parler quand Nesh a soulevé un point important. Les raisins. Je crois que j'en ai mangé un jour, mais je suis pas sûr. J'ai vu un abricot avec des ailes, près de la fille, et je comprends qu'il soit gentil, quoi de plus normal ? Mais les raisins, méchants ? Voilà quelque chose que je comprends pas.
Je suis sur le point de m'en ouvrir à la fille, lorsque je remarque que tous les trois me fixent, l'air d'attendre quelque chose de moi.
- Hum... ah ! On devrait peut-être aller retrouver yarkol ...? je fais, tout sourire.
Voyant le lézard opiner d'un air, mi-patient, mi-agacé, je me mets d'un coup à courir dans le sens inverse, remontant le chemin encore clair dans mon esprit que j'ai emprunté pour parvenir jusqu'ici.
C'est qu'après avoir tourné au premier croisement que je pense à me retourner pour être sûr qu'ils me suivaient. Ils sont juste derrière, alors je reprends ma course, jusqu'à la maison sur le toit de laquelle j'avais laissé mon ami, mon... frère ?

Tari les regarda partir au pas de course, Abracadabra à leur suite. Elle bailla et prit le temps de s'étirer, ne se sentant pas pressée outre mesure. Enfin, elle détala et, arrivée à un croisement, elle vit son abricot qui l'attendait et qui la dirigea vers son groupe de nouveaux amis. Elle accéléra l'allure pour les rattraper et arriva au moment où le petit enfant regarda derrière lui pour voir s'il était bel et bien suivi. Elle lui sourit et cala sa course sur celle des autres. Heureusement qu'elle aimait bien courir, car leur course jusqu'à l'endroit où Ishmæl avait laissé Yarkol fut longue. Leur jeune guide se stoppa enfin et leur dit d'une voix fluette :

"Yarkol est sur ce toit !"

La jeune fille scruta le dit toit et eut un moment d'intense réflexion. Une espèce d'illumination traversa soudain ses yeux et sur son visage l'incrédulité se disputait à la vénération.

"Oooh ! Il est invisible ?"

N'attendant aucune réponse, elle commença l'ascension. Elle arriva rapidement sur le toit et regarda autour d'elle avec suspicion. Aucune trace de l'invisible Yarkol. Aucun son non plus, d'ailleurs. Il dormait peut-être ? Ses prunelles finirent par tomber sur un os qui semblait taillé en forme de taureau. Probablement le reste d'un repas. Ses compagnons la trouvèrent assise par terre, jouant avec ce bout d'os, une moue perplexe et légèrement déçue sur le visage. En voyant le jeune garçon, elle le fusilla du regard, mécontente du faux espoir qu'il lui avait donné. Surtout que Yarkol n'était même pas invisible. De frustration, elle canalisa un nouveau pyromana qu'elle envoya dans son fidèle vif d'abricot.

"Ils arrivent."

Le Viashino avait parlé.

Sur le toit plat en calcaire, la mousse et la saleté semblaient absorber la lumière du soleil et teintaient le quartier de nuances verdâtre, parfois noires, ce qui renforçait l'atmosphère sombre et triste du cycle adoré par les Golgaris. C'est sur cette mousse épaisse que les pieds légers du semi elfe se posèrent avec fermeté et puissance lorsqu'il apparut à son petit groupe, debout sur le versant opposé.
Plus bruyant et sans doute plus voyant, son compagnon de cauchemars le suivait de près, si bien que par contraste, c'est lui que les fils de Ravnica virent en premier. Nihil, l'Anéantisseur.

Le semi elfe laissa le temps à tous le monde de réfléchir. Il s’avança lentement, fixant un à un tous ces visages qu'il connaissait, puis s'arrêta sur Tari. Il lui sourit amicalement avant de reculer de deux pas, afin que tous puissent l'entendre.

« Je suis content que notre petit système fonctionne. Si on arrive toujours à se retrouver les uns les autres en cas de problème, nous ne craignions rien. Je suis fier de voir qu'on a tous réagit assez vite. Et très heureux de découvrir un nouveau visage. »

A peine eut-il achevé sa phrase que le mastodonte d'os et de flamme appeler Nihil sauta du toit et s'évapora. Yarkol fit comme s'il ne l'avait pas remarqué et continua.

«  Si vous avez la moindre question à laquelle je puisse répondre, je suis là. »

Et ses yeux gris hallucinés, lorsqu'il fixait ses frères, brillaient comme une lune claire. Ses cheveux maintenant assez long avaient pris une teinte bleutée bien plus prononcée qu'auparavant. Peut-être un effet du climat moins rude dans les quartier neutre que dans le désert Gruul. Ce détail n'avait pas échappé au regard du Viashino, qui répondit avant les autres :

« Tu sens aussi mauvais qu'Ishmaël, vieux frère.. Et tu as changé. Les cheveux bleu, ça ne te va spas du tout. Tu me rappel les louveteaux Selesnyens, ils passent toujours par le bleu avant d'avoir le poil gris. »

« Content de te revoir aussi, Grand-oeil. »

« Ces joyeux lurons ont effectivement une question pour toi. »
Acheva-t-il avec un sourire aussi reptilien qu’inquiétant.

Yarkol est bien à l'endroit où je l'avais laissé - sans savoir pourquoi, je suis bien content d'avoir eu raison - en meilleure forme que je le pensais, et ses cheveux sont de nouveau bleus. Ce n'était pas qu'une impression, finalement, dans les égouts.
C'est en me faisant cette réflexion que je remarque qu'il est pas seul.
J'ai à peine le temps d'exprimer ma curiosité pendant que Yarkol parle que la créature massive se volatilise comme si elle avait jamais été là. Finalement, je décide de faire pareil.
Lorsque le lézard - Grand-œil, si j'ai bien compris - se tourne vers nous en souriant, je sentis que je devais dire quelque chose, et avant qu'un désagréable sentiment que je ne connaissais pas monte en moi, je dis la seule chose naturelle qui me vienne à l'esprit.
- C'est quoi des lurons ?
Et je me tais, me soupçonnant d'avoir dit une bêtise. Après une seconde de silence, j'essaie de me rattraper et reprends plus calmement.
- J'ai compris que je veux rester avec vous, mais pas grand-chose d'autre. J'ai l'impression de faire partie de quelque chose, et j'aime bien ça. Et je suis d'accord pour faire ce que tu veux. Les gens doivent pas rester aveugles. Petits et faibles, ils ont le droit. Même aveugles, ils peuvent, hein ! Mais par contre, il faut pas qu'ils refusent qu'on les guérissent, parce que s'ils préfèrent rester comme ils sont, ils vont nous empêcher d'aider les autres. Alors ceux là, je pense qu'il faut les guérir de force. Mais je sais pas du tout par où commencer parce que je dois être encore un peu aveugle, moi aussi.
Je me tais encore, craignant d'avoir trop parlé, et pas assez correctement.
- Et du coup... euh... on fait quoi ?

"On vit. Passez le messages partout où vous irez et trouvez nos frères perdus. Pour le moment, on se contentera de faire savoir que nous sommes là, que ceux qui veulent nous rejoindre le peuvent. Que tous le monde agisse comme bon lui semble, vous n'avez de compte à rendre à personne. Ishmaël, tu vois bien plus loin qu'eux, ton regard est pur. Tu vois peut-être même mieux que moi, car j'ai été blessé. N'ai jamais peur d'apprendre et de poser des questions. Un luron mon ami, c'est quelqu'un qui vit bien, sans soucis moraux.
Et toi la nouvelle, tu as des questions ? Vous pouvez tous parler et penser, vous serez libres aussi longtemps que vous respirerez."

Tari se sentit étrangement intimidée par Yarkol - ce qui était une grande première, il faut l'admettre. Il dégageait une espèce d'aura qui imposait le respect, sinon l'admiration, et les nombreuses cicatrices qui parsemaient sa peau n'avaient rien de bien rassurant. Assurément, il faisait partie de ses personnes dont l'estime valait bien plus que la vénération d'un millier d'autres. Mais chercher à obtenir cette estime était vain, alors la jeune fille décida de ne guère s'en soucier. Ce qui l'alarmait était plutôt ce qu'elle lisait dans les yeux du semi-elfe. Elle le croyait quand il disait avoir été blessé, elle le croyait et compatissait, car le gouffre qu'il portait en lui était effroyable. Et triste. Pourtant, malgré la douleur qui était sûrement sienne, Yarkol semblait vibrer d'une foi et d'un espoir incroyables. Ces mots sonnaient justes, ils plaisaient à la fille à l'abricot. Elle fut d'accord avec ce qu'il dit sur Ishmæl. Ce gamin était d'une pureté incroyable. Il n'était pas innocent, non, ce n'était pas ça, mais il était épargné. La souillure que les autres portaient en eux lui était totalement étrangère. Il ne fallait pas qu'il change. Avec Nesh dont la joie était parfaitement contagieuse et Keïrr'sh qui était... eh bien, qui était un lézard -ce qui est déjà beaucoup !-, la jeune fille était bien entourée. La folie qui crépitait autour de chacun d'eux était comme un baume pour celle qui jusqu'à présent n'avait partagé sa vie qu'avec un abricot.
Lorsqu'elle comprit que la nouvelle c'était elle, elle abandonna joyeusement toutes ces réflexions un peu trop sérieuses et grandiloquentes.

"C'est grave d'avoir les cheveux bleus ? Je trouve ça joli le bleu, presque aussi joli que le violet ! Sourire réjoui. A ce propos, je m'appelle Tari. Et sinon, comment on fait pour guérir quelqu'un d'aveugle ? On lui montre des explosions pleines d'étincelles ? Mon abricot peut faire de très chouettes explosions, quand il est d'accord."

En achevant ces paroles d'une voix excitée, la Sans-guilde fit apparaître un mana au-dessus de sa main. Elle avait un peu froid, alors elle le laissa tournoyer gentiment autour de son poignet quelques instants, puis la boule incandescente alla se loger dans l'abricot frétillant.

Yarkol sourit à Tari et suivit son abricot des yeux.

« Les flammes éclairent souvent l'âme de ceux qui se sont perdus. Mais ne vous préoccupez pas de ceux dont les années de tyrannie ont enfouis le cœur si profondément dans les ténèbres qu'aucune lumière ne les atteints. Ceux là ont leur propre voie. Essayez de les comprendre. Et si jamais...Si jamais vous doutez, si leurs ténèbres vous submergent, n'oubliez jamais que vos frères seront toujours près de vous. Nous serons là, dans les flammes, dans le sang, la pierre, le fer et même dans la mort. Je serais là. Faites exploser tous ce que vous avez sous la main, allumez le plus grand brasier de votre vie, je serais dans chaque explosion, chaque flamme, chaque étincelle. »

Il marcha parmi eux, confiant et fier, mais pas orgueilleux.

« Si la liberté rend chacun de vous aussi heureux que je le suis, je vous promet à tous que le reste de votre vie sera une suite d'aventures merveilleuses. C'est la seule chose que j’ai à offrir, c'est la seule chose que j'ai moi-même toujours chercher. Une vie passionnante...Merveilleuse et pleine de saveurs. »

Le Viashino esquissa un sourire, mais sa voix amère trahissait son anxiétés.

« Une vie merveilleusement courte, camarade. »

Yarkol éclata de rire, loin d'être nerveux, c'était un rire moqueur.

« Le temps... Voila une chose que j'aurais aimer vous offrir aussi ! Mais je n'ai moi-même plus beaucoup de temps et je m'efforcerais de partager le peu que j'ai avec vous, si cela vous plaît.
Que chacun aille où bon lui semble désormais. Restez ensemble si vous en éprouvez l'envie ou le besoin. Nesh, j'ai trouver ce que tu cherchais, rend toi dans les quartiers Est Selesnyans. Fais ton œuvre, éblouis nous. Que personne n'oublie ton spectacle. 
Maintenant si vous le permettez... Il me reste un petit sacrifice à faire afin de tenir le peu de promesse que je fais. Restez en vie jusque dans cinq lune. Vous me retrouverez dans les quartiers Boros... Si vous arrivez à temps !»

Il frappa son poing contre son cœur et leur cria :

« A bientôt, Fils de Ravnica ! »

Et sur ces mots prononcé avec malice, il fila entre les toits, dévala une gouttière et disparut dans la foule.

Keïrr'sh réagit le premier.

« Sacré Yarkol... Dans ma vie, j'ai croisé toutes sortes d'hommes vous savez ? Certains m'ont promis l'or, la gloire, le pouvoir...Et même l’immortalité. Très peu ont tenue leur promesses. Mais lui...Il promet sa vie, son âme. Il promet son cœur à ceux qui le suivent. Il ne cache à personne que rien d'autre que la mort ne nous attend...Ni gloire, ni honneur. Pas même le pardon, seulement...Une famille. Et la certitude de ne pas mourir seul. Il n'exige même pas...de retour. »

Le Viashino baissa la tête vers ses nouveaux frères.

« Il n'exige même pas notre fidélité. Nous pourrions tout aussi bien compter sur son soutiens toute notre vie sans jamais lui tendre la main. Il n'y a pas de contrat. Il veut de la confiance sans Loi. Il n'a rien fait pour me pousser là...Et pourtant je me sens déjà redevable. Il n'a rien fait pour moi, et je n'ai rien fait directement pour lui. Mais je lui dois déjà... Une vrai famille. »

Devant l'air embarrasser de l'homme lézard, Nesh lui donna une tape dans le dos.

« C'est parce qu'il est contre les Guildes. Le contrat, l'exigence, c'est finalement loin d'être des assurances. Il y a des lois, des possibilités de contourné. Mais quand on se sent frère, quand on est redevable avec son cœur, avec son âme , il n'y a que les actes qui comptent. C’est au delà de la parole, ça va plus loin que tout ça. Chacun n'engage que lui même, pour ses propres motifs, dans son seul intérêt...Mais le tout forme quelque chose de bien plus grand. J'ai quelque chose à faire de mon coté....Mais j'espère vous revoir dans cinq lunes. Je suivrais Yarkol parce que...Parce qu'avec lui j'ai trouver ma place. Et il a aussi trouver une place en moi, je le sens. Je sais qu'il fait beaucoup d'effort...Je crois que je l'admire. Il a fait beaucoup plus que trouver sa voie...Il a trouver la mienne aussi, et maintenant il me montre le chemin. C'est la mort qui te fait peur, Kleïrr'sh ? Eh bien j'ai réaliser... quand il s’est mis à rire...Dans l'éclat de sa voix, il y avait la vie. J'ai réaliser qu'avant qu'il ne vienne à moi, j'étais mort. J'avais peur de vivre, j'avais peur de mourir, alors je marchais sans les flammes, je courrais sans explosion, je riais sans voix. »

Le jeune homme aux cheveux roux fit une longue pause, en regardant bien ses camarades.

« Il m'a libéré de l'Ordre. Il a brisé ma vision étriquer du monde, il a...Tout simplement balayer des chaînes invisibles qui me retenaient prisonnier dans une vie qui n'était pas la mienne. Et aujourd'hui, il nous a tous demander de faire la même chose avec ceux qu'on croisera. Je ne sais pas si je serais à la hauteur, mais je suis près à mourir pour sa cause. Tu parlais d'honneur et de gloire...J'aurais mon due dans les combats que je mènerais en son nom. Et ce ne sera ni un sacrifice, ni un devoir, parce qu'à partir d'aujourd'hui et jusqu'à mon dernier souffle, mon nom sera le sien ! »

Le discours du manieur de sabre avait eu un étrange effet sur ses camarades. Keïrr'sh frétillait, totalement convaincu et rasséréné par les mots qu'avaient trouver Nesh. Ishmael quant à lui, bien que réconforté par tout ces sentiments de forces, de puissance et d'accomplissement, ressentait un doute terrible. Son instinct lui disait de ne pas suivre cette voix, pas aveuglément. Il sentait derrière les mots, la véritable force de Yarkol. Il n'avait pas simplement créé une famille, il avait construit quelque chose de plus fort. Il avait bien allumé une flamme dans le cœur du garçon aux cheveux roux, mais étais-ce la même qui brûlait chez lui ? Il sentait en effet quelque chose de malsain qu'il ne parvenait pas à nommer. Il tourna quelques temps autour du concept avant de trouver le mot. Fanatisme. Voila ce qui brûlait chez Nesh.

Je réfléchis. C'est vrai, j'ai grandi, je dois réfléchir et prendre des décisions tout seul, maintenant. Alors je me répète ce qui s'est passé et ce qu'on s'est dit dans ma tête, et je cherche des choses à comprendre. Je sais que Yarkol voulait inventer une grande famille, il me l'a dit, et je suis content que Grand-Oeil ait le même sentiment que moi à ce propos. Je suis content aussi, qu'on ne soit pas que deux, ni même trois, mais plus que ça. Et puis je suis sûr que j'ai même pas encore rencontré tous les vrais fils de Ravnica. Alors je décide de dire quelque chose :
- C'est fantastique de réunir des gens pour qu'ils ne soient plus seuls.
Je me dis que c'est peut-être mon air convaincu, ou bien le fait que j'ai dit ce que tout le monde savait déjà, mais Nesh se retourne vers moi et fait un petit sourire gentil. J'aime pas ce sourire, c'est celui que me fait le grand marchand de biscuit en m’apercevant avant de me dire de déguerpir. Je lui souris en retour, avec toutes mes dents, comme je fais pour montrer au marchand que je suis bête et que je vais faire ce qu'il me dit.. Je n'ai aucune raison de ne pas aimer Nesh, au fond. Il aime Yarkol et moi aussi, même si c'est différent, et c'est lui qui nous a appelé pour qu'on vienne sauver Tari.
D'ailleurs, lorsqu'on a vu son signal sur la pierre carrée, on était encore dans le désert et on faisait... quoi, au juste ?
Je baisse les yeux sur le petit cube de roc au creux de mon poing. Dans l'autre main, je tiens encore la lame dentelée que j'ai trouvée dans le Tombeau de la Guivre.
Tout d'un coup, je sais ce que je veux faire. Précipitamment, je dis:
- Je me souviens plus de tout ce qu'il y avait avant quelques mois mais j'ai des images et des voix dans ma tête qui me disent des choses et c'est comme ça que j'ai montré à Yarkol un endroit où j'avais déjà été mais dont je me souvenais plus et c'est là que j'ai trouvé ça. Je l'avais déjà, mais je l'avais perdue et je m'en rappelais plus, mais je me suis souvenu que je l'avais tenu dans ma main et c'est comme ça que je l'ai retrouvé, alors j'aimerais retourner à cet endroit pour écouter les voix et regarder les images de ma tête, mais je sais pas où c'est, donc si quelqu'un sait par où il faut aller et qui aura un moment où il a rien à faire dans les cinq lunes avant de revoir Yarkol, je voudrais lui demander si... si il pourrait m'aider.
Je me tais brusquement, et je me mords les lèvres pour pas que l'eau sorte de mes yeux. J'attends sans rien dire, en osant seulement regarder mes pieds. J'ai déjà assez peur de ceux de Nesh que je vois tournés vers moi, avec les chausses de Tari et les bottes de Keïrr'sh.
Déjà, une seconde entière avait passé.

Une seconde entière avait passé. Tellement de choses peuvent arriver en une seconde ! Une flamme qui s’éteint, une étoile qui tombe, la liberté qui jaillit. Pour Tari, cette seconde fut le temps qu’il lui fallut pour prendre une décision fort simple et de prononcer d’une voix claire :

« Je ne sais pas où se trouve ce que tu cherches, mais je veux bien t’y accompagner. Si tu me décris le lieu, je devrais pouvoir t’y emmener. »

Elle ne désirait plus la compagnie de Nesh. Elle l’appréciait, mais avait peur de finir étouffée par sa folie fanatique. Elle lui était reconnaissante de ce qu’il avait fait, ainsi qu’à Keïrr’sh et à Yarkol. Comme l’avait si justement dit l’enfant, c’était merveilleux de ne plus se sentir seule ! Elle ne comprenait pas encore le rôle qu’elle jouerait dans cette histoire, et ne s’en préoccupait guère. Elle avait couru, vu de belles choses, du bleu et des étincelles, combattu un gros adversaire bien trop fort pour elle mais marrant quand même, parlé avec son abricot et trouvé une famille. C’était une belle journée, et elle n’en demandait pas plus. Pas encore. Mais Tari n’avait pas l’habitude d’être seule, c’est pourquoi elle voulait mettre un peu de distance. L’enfant qui avait des voix dans sa tête avait quelque chose qui résonnait étrangement en elle, une fragilité et une force incroyable. Dans ses yeux se lisait une pureté sans nom qui bordait une folie dévastatrice. Elle n’aurait su dire comment elle arrivait à percevoir de telles choses dans un tel regard, mais elle y parvenait, et c’était tout ce qui comptait.
Elle invoqua en elle la chaleur rassurante de son feu intérieur et la laissa s’échapper en un grésillement tout à fait plaisant. La boule de mana voleta autour de son poignet gauche. Un sourire illumina son visage, et elle tendit sa main fine vers la main frêle d’Ishmael et lui empoigna gentiment.
Une autre seconde s’était écoulée. Tellement de choses peuvent arriver en une seconde !