Voyage en territoire Golgari

L'assassin laissa passer un court silence, pendant lequel il ne quitta pas le visage de l'elfe des yeux.
*Le quartier grouille de Simics ? Qu'est-ce que c'est que ce guêpier ? Elle me fait vraiment penser à l'arbrisseau du terrain ... mais quelle timidité maladive, peut-être l'impression de fragilité vient-elle de là aussi ?*
Puis il ralentit imperceptiblement, et lui répondit, tout en conservant un pas assez rapide pour quitter le quartier.
"Si ces savants fanatiques rôdent par ici, il vaudrait en effet mieux ne pas s'attarder dans les parages. Mon nom... est Asmodée, de la famille Baxu. Je suis le dernier de ma lignée. Puis-je vous demander votre nom, dame chanteuse ?"

"Mon nom est Silviel. Silviel Vaomar.Je suis chantresse de Selesnya. Je sais que ma guilde est l'antogoniste de la vôtre, mais Je vous prie, ne me croyez pas intolérante envers vos pratiques. Ce choix de vie, s'il est différent du nôtre, n#est pas forcément mauvais pour autant. Je ne crois pas que les seules choses dignes d'être honorées soient celles qui croissent au soleil. Ma soeur par le coeur est Golgarie, et cela ne nous a jamais gênées, ni l'une ni l'autre."

La jeune chantresse se surprit elle-même en en révélant autant. Elle ressentait le désir d'être comprise par Asmodée, qu'il n'aie pas de tels préjugés envers elle. Lorsque soudain, tout ce qu'elle était, ou plutôt avait fait, lui revint en pleine face. Une esquisse de sourire amer passa brièvement sur ses lévres, et la grisaille reprit ses droits dans ses yeux. Que pouvaient sa tolérance et son ouverture d'esprit face á cela ? Jamais ce ne serait contrebalancé.

Asmodée éclata d'un rire bref, qui faisait penser au bruit d'une branche morte craquant dans les sous-bois.
"Si il y a un devkarin qui peut voir une chantresse sans sentir sa lame le démanger, c'est moi ! Voyez-vous, je nourris certaines croyances quand au rôle des vôtres dans l'équilibre de la nature, et je pense qu'il y a une certaine complémentarité entre nos deux guildes, comme le cycle de vie et de mort éternel qui se joue partout autour de nous. C'est un hasard extraordinaire d'avoir rencontré quelqu'un d'aussi tolérant que vous, dame Vaomar."
*Parfait, j'ai pu éviter de lui dire quelle fonction j'occupais au sein de la guilde. Mais pourquoi est-ce que je lui parle du Cycle ? Je dois me reprendre...*
"Mais une question me reste en tête... Lorsque je vous suis apparu pour la première fois, vous permettant une fuite aussi rapide que courte, vous m'avez jeté un regard qui m'a ... marqué. Je suis habitué à voir beaucoup de sentiments dans les regards des gens qui me croisent: peur, dégoût, résignation, colère, mépris, terreur de mourir... Mais vous, je n'y retrouvais pas de sentiment connu. Aussi, je vous le demande, quel était cette émotion ?"
Pendant ces quelques phrases, il semblait de plus en plus fébrile. Apparemment, une telle nouveauté le troublait au plus au point. A la fin, il murmurait seulement, et Silviel dut prêter une grande attention pour comprendre ses paroles.

Une nouvelle fois, la surprise marqua les beaux traits de Silviel. Elle dévisagea Asmodée durant quelques instants, profondément stupéfaite. Sa voix n'était à son tour qu'un murmure lorsqu'elle répondit.

"Vous... Vous voulez dire que vous n'avez jamais vu de reconnaissance ?"

***Peur, dégoût, résignation, colère, mépris, terreur de mourir... Sa vie ne se construit-elle qu'autour de cela ?***

Cela lui rappela beaucoup de choses qu'elle aurait préféré oublier, dans sa jeunesse, la peur et le dégoût d'elle-même, la colère puis la résignation face au mépris et au dégoût des autres... Elle tressaillit comme si elle avait de nouveau entendu l'insulte qui la hantait : "parricide"...
Elle observa de nouveau le Golgari, cherchant cette fois à savoir ce qu'il y avait derrière ce charme vénéneux et morbide. Des horreurs comme dans son propre passé ? Sans doute... Ravnica était cruel.

"De la reconnaissance... c'était donc ça. J'en avais déjà entendu parler."
*Mais qu'est-ce que je dis ? Je suis en train de dévoiler tout mon être à cette chantresse, là... Je deviens trop sensible, mon mentor avait raison.*
En repensant à son maître, un frisson le parcourut. Il se rappela de la première et unique fois où il avait vu son aspect. Il ferma les yeux, chassant ces pensées parasites de son esprit. Il étaient arrivés à la limite du territoire des Golgaris. Le serviteur de Savra dénoua ses cheveux, qui tombèrent, raide, sur ses épaulières et sa cape.
"Nous voici arrivés là où vous ne pouvez me suivre sans périr. Mais il me reste encore une question à vous poser avant de vous quitter, dame Vaomar. D'après votre comportement, vous cherchez à protéger la vie partout où vous allez, n'est-ce pas ? Alors pourquoi mettre la vôtre en danger, et vous résigner si facilement dès que quelqu'un en veut à votre vie ? Je m'étonne que vous soyez encore vivante, un autre que moi vous aurait égorgé sur le cadavre de la Simic, et votre mystérieuse protectrice ne peux pas vous suivre à chaque instant de votre vie."

"Détrompez-vous, je suis déjá allée en territoire Golgari sans me faire tuer" répondit elle à la remarque de l'assassin. Brusquement, elle ressentit une sensation de creux dans la poitrine. Elle qui avait tellement l'habitude d'aller seule, voilà qu'elle aurait aimé rester avec lui plus longtemps, malgré l'étrange crainte que toute sa personne lui inspirait. Elle aurait voulu lui demander la persmission de rester avec lui ne serait-ce que le temps de se rendre jusqu'à la porte d'Anya, mais elle se rétracta, n'osant parler.

***Pourquoi ferait-il cela de toute manière...?***

Cependant, à la question d'Asmodée, son attitude sembla se transformer. Elle fit un pas en arrière, son visage se crispa, mêlant peur, refus, honte et désespoir. Elle avait désormais envie de fuir, le plus loin possible, le plus vite possible.

Prenant conscience du changement brutal d'attitude de l'elfe, il nota mentalement que sa philosphie était un point sensible. A cause d'une blessure secrète, elle aussi ? Il réagit promptement.
"Excusez-moi, c'était une question probablement déplacée. Cela m'intriguait, mais je le regrette si je vous ai offensée ou blessée."
*Changer de sujet. Et arrêter d'être si obligeant avec une Selesnyanne, à croire que j'ai oublié toutes les leçons de maîtrise de soi.*
"Comment avez-vous réussi cela sans que.. ah, grâce à votre... soeur de coeur ?"

La Slesnyane était désormais réellement sur la défensive. Elle parut se détendre très légèrement lorsqu'il s'excusa, mais la méfiance reparut dès qu'il évoqua Anya.

***Je ne dois pas en révéler trop sur elle...***

"En effet. Grâce à elle..."

Ses yeux s'éclairèrent, elle parut réconfortée par l'évocation de son amie. Elle se redressa un peu tandis qu'un'une éventualité de sourire flottait sur ses lèvres.

*Intéressante, vraiment hors du commun, cette elfe...*

"Cette amitié entre vous et une Golgari me fascine. Si vous le voulez bien, je vous accompagnerais volontiers jusque chez votre ... soeur par le coeur."-il semblait avoir du mal à saisir le concept-"Sinon, je crois que nos chemins vont se séparer ici."

Il se retint de se gifler. Il avait laissé sa voix contenir une note vibrante en finissant sa phrase, une note porteuse d'une émotion elle aussi inconnue, mais qui présageait un sentiment du même type que la reconnaissance: le genre de sentiment qu'il pensait avoir étouffé à jamais, et qu'il lui faudrait maîtriser sous les plus brefs délais. Son visage restait impassible, et son sourire en coin mi-poli mi-moqueur ne bougea pas, mais il bouillait intérieurement.

*Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Je dois me reprendre, il faut décidément que je me reprenne... *

Une étrange sensation traversa Silviel, et elle leva de grands yeux étonnés vers Asmodée. Ce fut avec une voix presque enfantine qu'elle demanda :

"Vraiment ?"

Elle ne parvenait pas à croire que le Golgari aie eu la même idée qu'elle, qu'il souhaite réaliser son désir sans même le connaître. Un puissant trouble la prit, elle évita le regard intense de son sauveur, et reprit la parole d'une voix timide, jouant d'une main avec ses cheveux.

"Je... Je veux bien. En revanche, je ne sais pas si je pourrai vous la présenter. Ca dépendra de son mentor, qui est assez... Sévère."

Son visage ne changea pas, mais il ne put se retenir intérieurement. Un mentor sévère, rien que ça ! Heureusement qu'elle n'allait pas l'accompagner jusqu'à Svoghtos, son maître à lui étant sans aucun doute plus que sévère quand à ses relations, car totalement insensible. Si il apprenait qu'il était en train de proposer à une Selesnyane de l'escorter à travers la Citerraine, et surtout, surtout, qu'il avait laissé une Simic en vie... Tiens, il n'avait même pas tué la grenouille dégénérée, en fin de compte.

Il reprit pied sur terre en remarquant le visage troublé et les grands yeux plein d'-*espoir?*-attente de l'elfe. Décidément, il avait les pensées par trop abstraites ces derniers temps.

"Qui ne tente rien n'a rien. Allons-y."

Il semblait qu'il s'intéressait un peu trop à Anya. Silviel se fustigea d'en avoir parlé, s'en voulant d'avoir mis sa chère amie, sa soeur, en danger potentiel. Elle observa Asmodée à la dérobée, sans plus rien réussir à percevoir derrière le masque impassible de ses traits. Un instant, leurs regards se croisèrent, et la jeune chantresse détourna les yeux, comme blessée par l'acuité des yeux vairons, mélange d'acier et de dense feuillage. Elle eut la sensation qu'une lame froide passait dans son cou et descendait entre ses omoplates. Mais paradoxalement, elle sentait une boule chaude dans sa gorge, qui lui rappelait les tisanes que, petite, sa mère lui donnait pour qu'elle dorme bien. Ce souvenir rassurant la frappa avec nostalgie, et elle baissa la tête pour ravaler les quelques perles salées qui menacaient de déborder de ses yeux verts comme la mer. Puis elle se reprit, et répondit, d'une voix trop égale pour être naturelle :

"Allons-y alors. Sa demeure se trouve du côté des cimetières..."

Elle se mit alors en marche, sans être réellement consciente qu'elle marchait dans des ruelles sombres, situées en territoire ennmi de sa guilde, en compagnied'un Golgari dont elle ne savait que le nom et qui avait menacé de l'égorger. Elle avait l'impression d'avancer dans du coton, marchant comme en rêve.

Les deux elfes marchaient lentement dans le quartier à cette heure désert, du moins d'humanoïdes. Asmodée éprouva une forte sensation d'irréalité en resongeant à l'absurdité de la situation, sensation renforcée par le souvenir du regard de la belle Selesnyane lorsqu'il lui est apparu pour la première fois. La reconnaissance...

Il cligna des yeux à plusieurs reprises, sans parvenir à chasser le troublant regard couleur de verdure de son esprit. Le Golgari allait devoir faire avec ce nouveau sentiment, apparemment. Il reprit la parole, conscient que les dernières paroles échangées avaient été beaucoup plus formelles que les autres. L'assassin décida d'éviter le sujet de cette soeur de coeur à l'avenir, quoi que signifie cet étrange titre, et quelle que soit la raison de cette gêne.

"Je suis également intrigué par... votre propre personnalité. Comment quelqu'un d'aussi ouvert est-il arrivé dans une guilde aussi... pardonnez-moi si je m'exprime de manière trop franche... sectaire ?"

La reconnaissance... si il pouvait revoir ce sentiment, alors il saurait si il sera en mesure de le maîtriser également si jamais il devait le ressentir. Et puis, il paraît que c'est le meilleur moyen de s'assurer qu'une dette soit tenue... Il devait faire en sorte d'orienter la conversation de telle manière que la jeune chantresse aie à nouveau cette émotion.

À la question de son compagnon, l'expression de la douce Selesnyane se fit très lointaine. Une tempête faisait rage dans son crâne, ses yeux révélaient de nouveau la blessure béante au fond de son coeur. Elle resta durant de longues secondes silencieuse, et finit par répondre, la voix altérée :

"Pour chercher et trouver la paix, l'oubli de soi et pour enterrer tout ce qu'on préfèrerait ne plus jamais voir ressortir. Parce que quelqu'un vous tend la main et que vous le suivez."

Les mots s'étaient déversés seuls sur ses lèvres, leur sonorité ricochant sur les murs alentours, se perdant dans l'obscurité tandis que Silviel fermait les paupières et prenait une lente inspiration. Elle ne comprenait pas pourquoi elle s'était dévoilée autant, aussi vite. Elle parlait trop, et n'avait aucun moyen de savoir si Asmodée était une personne de confiance.

***Imprudente...***

Il fallait qu'elle détourne la conversation d'elle-même.

"Et vous ? On voit rarement un Golgari proposer une résolution pacifique d'un conflit... Mais peut-être ma question est-elle trop indiscrète, je vous prie de m'en excuser si c'est le cas." se hâta-t-elle d'ajouter, confuse.

Une ombre passa un court instant sur le visage du grand devkarin, comme un nuage dans un ciel gris. Il se ressaisit rapidement-*Je n'ai jamais dû me ressaisir autant en si peu de temps...*-et répondit à sa plus grande fierté d'une voie maîtrisée et calme:

"En effet, je préfère une solution diplomatique quand je peux en obtenir une, plutôt que de faire couler le sang, croyez-le ou non. En ce plan, chacun porte sa croix, et la mienne n'est pas des plus légères. Vous vous excusez sans raison, votre question est tout à fait justifiée après l'indiscrétion dont j'ai fait preuve en vous questionnant ainsi."

Son visage était tout aussi imperméable que sa voix. Du moins le pensait-il, jusqu'à ce qu'il remarque qu'un tic nerveux agitait sa paupière gauche, le forçant à plisser son oeil gris. Il prit sur lui-même et détendit à nouveau cette partie de son masque.

*Parce que quelqu'un vous tend la main, et que vous le suivez... n'est-ce pas ce que j'ai fait moi aussi, lorsque mon maître m'est apparu alors que je me tenais devant la combe où mon clan m'a trouvé ? Décidément, je me découvre de plus en plus de points communs avec cette femme. Il paraît que ça favorise l'amitié, et donc la reconnaissance. Mais pas de hâte, je ne dois pas m'attacher à cette elfe. Je ne dois pas m'attacher à qui que ce soit.*

La jeune femme observait avec attention son sauveur, et percut son agitation trahie par son oeil gris orage malgré l'impassibilité de marbre du reste de son visage. Visiblement, il était troublé - peut-être avait-elle à son tour éveillé de mauvais souvenirs en lui... Ses paroles semblaient le confirmer. Elle ne pouvait qu'être d'accord avec lui.

"Oui... Chacun sa croix...
Enfin, en tout cas, je suis aussi impressionnée par votre philosophie... Rare... Peut-être sommes nous des rares Selesnyans et Golgaris capables de s'entendre..." acheva-t-elle avait un léger et doux sourire. Puis le sens de ses paroles la frappa. Elle se serait giflée. Comme cela sonnait présomptueusement. Elle n'aurait jamais dû dire, espérer cela.

Le Golgari, perdu dans ses pensées, ne réalisa pas tout de suite ce que venait de dire l'elfe. Il n'en crut pas ses oreilles, qui ne l'avaient pourtant jamais trahi. Plus qu'une relation de reconnaissance, une entente... on disait une entente cordiale ? Ca s'approchait dangereusement de la notion d'amitié. Mais si ça pouvait resserrer le lien entre lui et la gracile elfe, tant mieux. Enfin, tant qu'il ne s'y attachait pas...

"C'est bien possible... belle image d'ailleurs, que la vie et la mort qui arrivent à converser sans se combattre. Mais je m'égare. En parlant d'égarement, nous sommes arrivés aux abords du marais. Par où allons-nous maintenant ? Guidez-moi, dame Vaomar."

Il allait sans doute déclencher de la surprise par ces paroles. L'elfe ne semblait guère s'attendre à de telles paroles, et lui demander de le guider pouvait sembler absurde à quiconque ne connaissait pas le contexte. L'assassin dut lutter contre le sentiment maintenant renforcé d'irréalité. Et puis, c'était bien beau, mais de la surprise à la reconnaissance, il avait encore à faire...

En voyant l'étonnement d'Asmodée, Silviel se mordit les lèvres. Elle avait vu juste, elle s'était montrée trop présomptueuse. Ce n'était pas parce qu'il ne l'avait pas égorgée sur le champ qu'ils pourraient forcément s'entendre. Le goût amer de la solitude se fit sentir sur sa langue une fois de plus, elle détourna le visage, honteusement. Jusqu'à ce que l'idée de vie et de mort évoquée par le Golgari ne ranime en elle une lueur d'espoir qui lui fit relever la tête.

***Peut-être, alors...?***

Elle sortit de ses hypothèses juste à temps pour indiquer la bonne direction. Tandis qu'ils continuaient à marcher, elle reprit la parole, toujours aussi timide, hésitante, presque chuchotant.

"Quelque soit la raison qui vous amenait là, je dois la et vous remercier. J'ai désormais une dette envers vous, pour avoir sauvé et épargné ma vie."

Parfait, c'est maintenant que tout allait se jouer. Cela arrivait plus tôt que l'assassin ne l'escomptait, mais dans un sens c'était tant mieux; autant sceller la dette avant d'arriver chez l'amie Golgarie de la jeune chantresse, qui pourrait avoir entendu parler du dernier survivant des Baxus. Il laissa la surprise apparaître un court instant sur ses traits, puis sembla reprendre ses esprits et dit d'une voix posée:

"J'en prends bonne note, et vous remercie également. Ce n'est pas tous les jours que je sauve, ou même épargne une Selesnyane, en effet, mais il est encore plus rare qu'elle reconnaisse avoir une dette envers moi. Vous êtes vraiment hors du commun, dame Vaomar. Je saurais me souvenir de cette dette en temps et en heure."

"Mais si vous voulez aussi remercier la raison de ma présence en ces lieux... ce serait assez long de tout vous expliquer, mais soyez reconnaissante envers le batracien dégénéré de mon adversaire, et envers cette petite beauté créee par la nature."

Il retroussa sa manche droite, dévoilant un spécimen des scarabées qu'il avait trouvé sur le cadavre du soudard. Les plaques de chitine qui caparaçonnait l'insecte comme le ferait une armure brillaient à la lumière, et coulissaient parfaitement au fur et à mesure que le coléoptère se déplaçait paresseusement de l'avant-bras vers la main gantée du devkarin. Chaque détail semblait parfaitement réglé chez la créature, qui avançait comme mûe par quelque précis mécanisme d'horlogerie.

Asmodée ne put s'empêcher de s'abîmer quelques instants dans la contemplation du spécimen, et une émotion indéchiffrable parut sur son visage.

La jeune chantresse se pencha sur l'insecte pour mieux l'observer, captivée par l'impeccable carapace brillante se mouvant avec une parfaite régularité, presque comme une minuscule machine recouverte d'orfèvrerie. Elle souffla, d'une voix émue :

"Il est... Magnifique, en effet... "

Puis elle releva le visage vers Asmodée, et lui offrit, pour la seconde fois en très peu de temps, ce qui l'étonna elle-même, un splendide sourire qui creusa des fossettes de joie sous ses yeux habituellement si tristes.

"Je lui en serai donc reconnaissante. C'est vraiment un superbe animal..."

Ca commençait à devenir presque une routine pour l'assassin de reprendre ses esprits. Or, il n'était pas spécialement conseillé aux assassins de rêvasser ainsi, non, vraiment pas... Et encore moins avec une représentante d'une guilde antagoniste juste à côté de soi. Quoique... Asmodée, bien qu'il se garda de le montrer, fut étonné de l'ouverture d'esprit de la jeune chantresse. Les Selesnyens capables de trouver magnifique un scarabée nécrophage n'étaient pas légion.

Plus grand encore fut son étonnement quand il vit le sourire de l'elfe qui ... lui était adressé ? Jusqu'ici, à part cette certes troublante idée de pouvoir s'entendre de manière privilégiée, elle s'était montrée triste, presque froide. Il parvint à masquer sa surprise là aussi, non sans avoir pris sur soi.

Mais le Devkarin ne put dissimuler son désarroi lorsqu'il sentit ses propres lèvres se tendre à leur tour, formant un sourire absolument pas bestial. Un sourire porteur du même étrange sentiment qui l'avait assailli à l'orée des territoires Golgaris. Un sourire porteur d'inconnu.

*Un sort ? J'aurais senti la canalisation du mana... Qu'est-ce qui m'arrive, il faut que je trouve un moyen de contrôler ça, qu'est-ce qui se passe ici ?*

Toutefois, le masque d'impassibilité de l'assassin, rodé bien que décidément mis à mal ces derniers temps, atténua son mécontentement face à son impuissance et son incompréhension, transformant les intenses sentiments en un simple, imperceptible soupir. Il avait frôlé l'impensable; révéler son caractère, sa personnalité, ce sentiment persistant aussi, en résumé tout son être. Le Golgari pria pour que les deux elfes arrivent bientôt à destination, craigant de ne pas pouvoir se dissimuler plus longtemps...

Un frisson semblable á un coup de lance, mais pas désagréable, parcourut le corps de la chantresse lorsque l'elfe lui rendit son sourire. Elle y entrevit la joie et la sincérité ainsi que, paradoxalement,un certain mystère. Cet étrange mélange la toucha au coeur, mais Asmodée le fit disparaître presque immédiatement, de manière forcée pourtant, comme s'il l'avait laissé échapper, et qu'il reprenait contenance. Cela déconcerta la jeune fille, et son sourire s'évanouit à son tour. Peut-être n'avait-il pas envie de partager sa joie avec une Selesnyane bizarre à l'air perpétuellement triste. Sûrement même. Son coeur se noua une fois de plus, un soupir monta et gonfla dans sa gorge, tentant de passer la barrière de ses lèvres qu'elle garda fermement et hermétiquement closes, détournant légèrement la tête, le temps que le masque rêveur et triste reprenne sa place sur son visage. Puis elle parla, d'une voix encore un peu tremblante.

"Nous allons arriver dans une zone un peu plus peuplée. Je vais masquer mes traits et mes vêtements, et normalement, tout ira bien. Je l'ai déjá fait."

Au fil des rues, ils purent voir en effet de plus en plus de monde, Devkarins, tératoides et zombies vaquant tranquillement à leurs occupations. Silviel avait refermé sa longue cape et baissé sur son visage la capuche. One ne voyait plus d'elle désormais qu'une petite silhouette vêtue de noir, visage indiscernable dans l'ombre, et vêtements cachés par l'étoffe de la mante. Elle marchait silencieusement, ruminant des pensées mélancoliques et n'osant plus adresser la parole au ténébreux Golgari à ses côtés. Nul ne les inquiéta, et ils parvinrent sans encombre à une rue bien plus large et fréquentée. La jolie Selesnyane chuchota à son chaperon :

"C'est le passage le plus délicat... Après, tout redevient beaucoup plus calme, et nous serons presque arrivés."

*Elle semble déçue... elle s'attendait à cette émotion et/ou à ce sourire ? Ou est-ce que je n'aurais pas dû le refouler ? Il faut que je me plonge dans les livres de psychologie de mon maître, décidément... se maîtriser, je croyais avoir réussi, mais je suis juste capable de contrôler ma voix, et encore... Mais où est-ce qu'elle m'emmène, personne ne vit ici, ou son amie n'est-elle qu'un tératoïde ? Un passage délicat, hein... j'espère qu'elle aura raison, le calme me manque, décidément...*

Comme pour contredire la belle chantresse, un petit mort-vivant, menant un saurien de dimension tout aussi modestes par une longue laisse, qui ruminait paisiblement, vint leur barrer la route. Il portait un bandeau sur un oeil, et ne semblait guère se soucier de la plante grimpante qui envahissait sa jambe gauche. Il ne portait pas d'arme, mais l'animal, pour petit qu'il puisse être, restait un saurien aux longues dents pointues, et qui faisait bien deux mètres au garrot.

"Qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vus ici..."

Le Golgari hésita un instant. Sortir sa lame et lui expliquer qu'il n'avait pas à se mêler des affaires d'autrui ? Jouer de son rang, au risque d'en avertir la chantresse ? L'ignorer, en priant pour que le fâcheux n'insiste pas ? Il finit par se décider pour la seconde option, et tant pis pour l'avis de l'elfe.

Il se pencha lentement vers le non-mort, Sohgar sur l'épaule, et lui murmura d'une voix presque amicale:

"Et si tu tiens à ta deuxième vie, tu prierais pour ne pas nous revoir. Je suis de la section spéciale, ça te parle peut-être ? Et cette personne, derrière, est mon maître en choses de magie. Alors, sois intelligent, va faire brouter ton brunécaille plus loin. A moins que tu ne veuilles la preuve de notre appartenance à la guilde ?"

Il finit sa phrase sur un ton beaucoup plus différend, soigneusement étudié, froid, dans un souffle. La petite tirade, dont chaque mot, chaque intonation avait été choisie, devait décourager sérieusement l'irritant personnage. Il acheva en canalisant un nécromana d'une main, ses yeux vairons fichés dans l'oeil unique de l'impertinent. Il ne quitta toutefois pas Silviel du regard, grâce à Sohgar. Hors de question qu'elle rajoute une couche, il doutait de sa crédibilité, et hors de question aussi qu'elle s'enfuie.

Le mort-vivant sentit deux scarabées sur sa nuque, comme deux pierres froides et immobiles. De plus, une mante religieuse se tenait sur son bras, les deux pattes hérissées de piquants levées vers le ciel, n'attendant qu'un ordre pour frapper, et un petit arachnide, aux mandibules dégouttantes d'acides et de poison divers se déplaçait sur son torse. L'assassin semblait attendre une réponse de la part de l'importun, mais c'était surtout la réaction de la jeune chantresse qui allait jouer sur la suite des évènements.

"Alors, tu nous laisses tranquille, ou tu meurs définitivement ?"

L'homme sembla un moment contrarié, puis il tira sa créature, et continua d'avancer. Après tout, le territoire était golgari, et si l'homme mentait, un autre le tuerait à sa place. Il n'avait pas que ça à faire de la journée. Il jeta un regard mauvais à Silviel et Asmodée, et se contenta de tirer se bête hors du chemin, avant de continuer tranquillement sa route.

Un immense soulagement envahit Silviel en voyant le petit homme s'éloigner. Elle était épuisée, elle n'en pouvait plus, elle ne voulait pas se battre de nouveau. Elle tourna la tête vers le ténébreux elfe qui venait de la sauver pour la seconde fois en moins d'une heure. Un étrange mélange de reconnaissance et de peur la submergea. Une fois de plus, il avait écarté le danger d'elle, mais elle se demandait si ce n'était pas lui, le danger le plus proche. Il semblait si froid, si sombre, si dangereux avec son regard étrange dans lequel on ne pouvait rien lire et ses insectes prêts à l'attaque. Quant à ses paroles...

***La section spéciale ? Et ces mots ont suffit à faire fuir l'homme au saurien ?***

Le mystère entourant le Golgari s'épaississait à ces mots pleins de menace. Curiosité et méfiance, attirance et répulsion, reconnaissance et angoisse avaient fait de son esprit un champ de bataille tandis que le battement sourd de son sang dans ses tempes brouillait ses capacités de réflexions. Le regard intense que portait sur elle Asmodée, si vert et frais d'un côté, si gris et dur de l'autre, étourdissant de contraste. Ce fut d'une voix peu assurée qu'elle parla :

"Je... Je crois que je vous dois de nouveau une fière chandelle... Merci...
Continuons-nous à avancer ?"

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