Le secret de l'Abricot

Un soleil clair semblait surveillé le monde, un astre puissant, presque Divin, qui n’interférerait que peu dans les affaires mortels mais serait au courant de tout, rien échappant à son œil terrible. En ce début d'après midi en effet, il faisait chaud et Ravnica tout entière était animé, égayé par ce temps radieux. A Kyrma peut-être encore plus qu'ailleurs, les rues étaient en fête. Les Orzhov se léchaient déjà leurs gros doigts boudinés, s'empressant de fourré dans leurs poches les pièces qu'on leur cédait après leurs marchandages effréné. Les rues abondaient de mondes mais aussi de marchés, tout le monde semblait être sortis dans la rue pour étalé son stock d'invendu, espérant faire passer les articles oublié pour des nouveautés. On pouvait voir de tout, en allant du singe mécanique au parchemin de silence en passant par la plante de garde. Tout s'achetait, s'échangeait, et l'activité frénétique des habitant de kyrma avait transformé les quartier les plus peuplés en véritables fourmilières.

Ainsi il était non seulement plus aisé de se perdre, mais aussi de se faire voler. Un tel jours, les pickpocket étaient évidemment de la partie, et parfois on pouvait se demander s'ils ne se faisaient pas les poches les uns des autres, tant on devait faire attention à ses affaires. Fort heureusement, les Boros patrouillaient eux aussi en effectifs renforcé, on pouvait même apercevoir des griffons chevauché par quelques chanceux faire des rondes dans les airs.

Tari Alcarin, dans ses habits sombres, commençait à avoir plutôt chaud. C'est dans les quartiers neutres, dans l'hypercentre Ravnican, précisément à Kyrma où toutes les ruelles s’entrecroisent, qu'elle flânait à la recherche de tout et de rien. Qui pourrait dire vers quelle folie son esprit facétieux se dirigeait ? Elle qui n'aimait pas des masses le contact avec les gens se trouvait dans une position relativement inconfortable : tout ce monde qui grouillait dans tous les coins ne lui laissait pas le loisir d'être solitaire, et son joli minois faisait déjà des envieux. Alors qu'elle avançait droit devant elle, au rythme imposé par la foule, on l’interpella.

« Eh, mademoiselle ! Oui, vous là, la petite aux yeux violets ! »

Elle tourna la tête vers l'endroit d'où provenait la voix.

« J'ai exactement ce qu'il vous faut ! Venez, venez par ici, mes articles sont d'une qualité unique au monde ! »

L'homme était très grand et maigre, son teint sombre et ses yeux vifs argenté lui donnant un air de farfadet malin. Ses cheveux, manifestement très long, étaient savamment noué dans un entortillement complexe du turban qu'il s'était enroulé sur la tête. Devant lui étaient étalé des objets semblant provenir de tous les coins du monde, délicatement posé sur un tapis coloré.

Curiosité. Le bonhomme qui l’avait interpellée avait les yeux verts. Ca voulait dire qu’il était gentil, non ? Puis il l’avait identifiée grâce à ses yeux. Pas ses cheveux ni ses vêtements, mais ses yeux. Violets.
Violet et vert, ça commence par V. Comme vérité, comme volonté, comme ventillesse. Ah non, pas comme ça… C’est pas grave, c’était déjà un début. Tari se retourna, et s’avança vers le marchand d’une démarche sautillante, malgré la foule qui se pressait de toute part contre elle et semblait s’amuser à tenter d’entraver son chemin. Mais la jeune hybride s’amusait tout autant à esquiver, frôler, louvoyer dans la masse difforme et mouvante qui l’entourait. De bonds en bonds, elle arriva finalement en face de l’homme qui l’avait appelée.
Ses yeux n’étaient pas du tout verts en fait, puisqu’ils étaient gris. Et gris, ça commence pas pareil que violet. Mais ça commence pour de vrai pareil que gentillesse, cette fois. Alors elle sourit, et lui parla avec confiance.

« Je ne savais pas qu’il me fallait quelque chose ! Heureusement que vous me l’avez dit. »

Sans cesser de sourire, et sans attendre la réponse de son interlocuteur, elle sortir son vif d’abricot pour le mettre à la hauteur de son visage. Puis, elle lui chuchota de la manière la moins discrète au monde, sa voix tremblant d’une excitation à l’existence inconnue.

« Eh, à ton avis, il me faut quoi ? Tu penses que ça brille ? J’aimerais bien qu’il y ait des paillettes vertes, et violettes. Et grises, oui, tu as raison. Non, pas dorées, j'aime pas. Et toi, tu voudrais quoi ? Des bananes ? Mais il n’y a pas de bananes ici, soit pas bête. Rooh, mais non je pense pas que tu es bête ! On va demander au monsieur s’il a des bananes, d’accord ? Et tu veux qu’elles soient roses ? Oui, pourquoi pas. Rose, ça commence comme rire et rêve. C’est tout doux. Pas très brillant, mais ça s’envole un peu, quand tu le caresses. Comment ça, on peut pas caresser le rose ? Bien sûr que si, c’est juste que t’es un abricot, donc t’as pas de main. Ahah ! Moi j’ai des mains. Pas toi. »

Elle éclata de rire et posa son abricot sur sa tête, levant les yeux au ciel comme si ça lui permettrait d’avoir un meilleur équilibre. Après un instant de jeu, elle reposa son regard sur l’homme.

« Alors, il me faut quoi ? Vous avez des bananes roses ? C’est pour Abracadabra, mon abricot. »

Le marchand sourit, laissant apparaître des dents parfaitement blanches.

« Des bananes roses ? Bien sûr que j'en ai ! »

Il se retourna, tendit une coupe bleue sur laquelle s'inscrivaient d'étranges glyphes et prononça une formule absolument incompréhensible. Sous les yeux de Tari apparurent trois bananes roses, presque violettes, légèrement plus grosses que la normale.

« Servez-vous, merveilleuse enfant ! Les abricots adorent ça. »

Il demeurait le bras tendu, la coupe pleine des trois fruits au teintes incroyables, son large sourire sur les lèvres éclairant son visage.

La jeune fille éclata de nouveau de rire, et battit joyeusement des mains en sautillant. L'équilibre se rompit alors et l'abricot tomba, tomba... -ô chute fatale et moment de doute insoutenable !- mais elle le rattrapa d'un mouvement aérien -la vie peut reprendre son cours- pour le faire glisser sur sa main. Elle regarda ensuite autour d'elle avec suspicion. Méfiance, méfiance.
Devant elle, l'homme souriait toujours. Ses dents aussi blanches que les nuages avaient quelque chose de... stupéfiant. Pas terrible, non, pas terrible, juste stupéfiant. Elle se pencha délicatement en avant et lui murmura, un air de conspiratrice plaqué sur le visage :

"Combien de temps seront-elles radioactives ?..."

Puis elle se releva vivement, en regardant autour d'elle. Elle caressa distraitement son abricot, semblant être plongée dans une intense réflexion. Au bout de quelques secondes, son regard s'éclaira. Elle reprit la parole d'un air assuré et décontracté (plus de conspiration), lançant moult clins d’œil et sourires étincelants aux passants.

" Mais vous savez, je ne suis PAS un moustique borgne. Il est temps d'en parler, n'est-il pas ? Bien sûr, je sais bien que de nombreux gnomes soutiennent que si l'on monte sur l'arbre gigantesque de Vitu-Ghazi avec un escargot d'ivoire, juste avant l'aurore, les guivres deviendront des vers de terre phosphorescents. Je ne suis pas d'accord ! Déjà, l'arbre est trop bien entouré par de nombreuses parenthèses. Ensuite, l'action en elle-même me semble totalement controversée ! Voyons ! Enfin, je veux dire que... AAAAH ! J'ai cru que vous étiez un poisson."

Tari arrêta son babillage sur cette sentence apocalyptique, les bananes désormais dans ses mains. Elle leur fit les gros yeux, avant de se pencher à nouveau vers le marchand, frémissant d'excitation.

" Vous pensez qu'on peut s'en servir comme armes contre les raisins ?!"

Le marchand chuchota à son oreille :

« Naturellement. Ce qui est bon pour les abricots est mauvais pour les raisins, voyons ...»

Puis il recula, et la jeune Tari sentit tout à coup sa robe devenir plus légère. Tout bien réfléchit, c'était sa ceinture qui avait été délesté. La petite bourse contenant son or s'était littéralement volatilisée. Puis ses chaussures disparurent, son sac, ses bijoux, elle sentit même ses sous-vêtements s'évaporer. Elle ne portait plus que sa robe noir, mais était totalement nue sans cela.
Alors qu'elle allait parler, elle se sentit étrangement seule. Comme si...Malheur. Son abricot volant avait disparut lui aussi, et le marchand, tout sourire, lui fit un clin d’œil.

« Marché conclu, ma petite. J'espère que ces bananes feront votre bonheur ! »

Elle était donc seule, debout dans sa robe, avec ses trois misérables bananes roses dans les mains.

** Je me suis encore faite avoir… **

Tari réalisa avec une douloureuse compréhension que le marchand s’était joué d’elle. Et qu’une fois de plus, elle a été trop crédule. Pourtant, il avait de jolis yeux… Mais le gris a beau commencé pareil que gentillesse, donc son cas c’était un gris tempête et trompeur, une brume qui voilait son esprit tortueux. La jeune fille était déçue. Elle regarda tristement les bananes dans sa main, pensant qu’au moins, Abracadra aura eu ce qu’il voulait.
Abracadra.
Nouvelle prise de conscience. Plus douloureuse encore. Plus affreuse. Insoutenable.
** Il m’a volé mon abricot. Il m’a volé mon ami. Mon seul ami. On ne vole pas l’ami des gens ! **

La solitude qu’elle avait ressenti auparavant devint abandon, devint oppression, devint désespoir. Battements de cœur affolés, respiration qui s’accélère, mains moites qui se mettent à trembler, larmes qui perlent aux paupières effarouchées. Au milieu de cet anéantissement, quelque chose se réveilla en Tari. Elle n’avait jamais été séparée de son abricot. Jamais. Et elle ne permettrait pas qu’on lui vole aussi impunément – vengeance... La fureur se libéra en une explosion fracassante ; ses os tremblaient de rage, son sang bouillonnait de haine, et son esprit exigeait réparation – vengeance. Son masque de douceur avait disparu. Elle n’avait plus envie de rêver de couleurs chatoyantes, d’arc-en-ciel et de poussière de rêves. Quelque chose de bestial obscurcissait son esprit, une envie de meurtre, de sang, d’agonie – vengeance ! Elle n’avait aucune idée de l’endroit où avait disparu le traître. Mais elle savait qu’elle le retrouverait, peu importe le temps que ça prendrait. C’était son abricot. Et celui qui les avait séparés allait payer, oh ça oui, il allait payer… - VENGEANCE !

Sa folie ne pouvait plus être considérée avec complaisance désormais. Elle s’était transformée en une entité beaucoup plus violente et incontrôlable. Dans un rire frôlant l’hystérie, Tari se mit en route.
« Que la chasse commence… ! »

Tari pila net. Des gens, autour, partout. Mais lui, il était là, avec SON abricot, et il discutait tranquillement avec un nouveau pigeon. Et ça, elle ne pouvait décidément pas le laisser faire. Croyait-il vraiment qu'il s'en tirerait aussi facilement ? D'un mouvement fluide, la jeune fille tira un abricot de sa poche... enfin essaya. Malheur. Le marchand l'avait aussi dépouillée de ça. Tant pis, elle ferait sans ! Elle se concentra. C'était facile, la rage brûlait déjà. Elle n'avait plus qu'à canaliser toute sa colère, son désir de destruction dans un point précis, en l’occurrence, sa main, puis la laisser s'échapper. Un pyromana apparu, et se consuma presque instantanément. A sa place, se tenait un petit abricot devint semblable à un chardon ardent (sauf que c'était un abricot). Mais ça ne suffisait pas. Tari rappela sa fureur, et un deuxième pyromana apparu. Elle le laissa flotter autour de sa main un instant, jouer autour de son bras, savourant la présence chaude et rassurante de cet ami immatériel, un sourire extatique sur les lèvres. Puis, elle focalisa de nouveau son attention sur l'abricot incandescent, qui devint brûlant quand le deuxième pyromana disparu.

** C'est chaud ! **

Elle n'avait plus tellement de temps. Elle lança l'abricot en direction du marchand. Celui-ci s'enflamma en plein vol ** comme c'est joliiii **, vol dont les yeux fascinés de la Sans-Guilde suivait la course, avant d'exploser... sur l'interlocuteur du marchand.

** Bah, au moins il se fera pas arnaquer ! **

Sur cette heureuse pensée, Tari se dirigea vers le traître marchand, qui avait été propulsé à terre par le souffle de l'explosion. Ce faisant, elle passa devant le pauvre gars dont il ne restait plus grand-chose, et l'observa un instant avec satisfaction.

** Heureusement que c'est tombé sur lui. Je n'aurais pas supporté que mon abricot soit endommagé... **

Puis, elle se tourna vers l'infâme, un profond mépris inscrit sur le visage. Soudain, elle lui trouvait une certaine ressemblance avec le raisin.
Elle ficha ses yeux dans les siens, et il tressaillit en constatant la flamme de folie pure qui illuminait son regard violet.
"Je veux mon abricot."

L'homme ouvrait de grands yeux ahuris, plus surpris qu'apeuré. Mais il n'eut pas le temps de réagir, pas plus que Tari. Elle se fit plaquer au sol par deux coups de bâtons, deux gardes Haazda se tenaient derrière elle et la frappaient. Ils la battirent jusqu'à ce qu'elle reste roulée en boule sur les pavés et aidèrent le marchand à se relever.
Ils échangèrent quelques mots, mais Tari n'entendait rien, sa tête bourdonnait, elle saignait du nez et son abricot lui manquait.

Les gens autours avaient des réactions antagonistes : les uns se pressaient de quitter les lieux tandis que d'autres cherchaient par tout les moyens à être témoins de la scène. Les quelques secondes qui suivirent furent assez confuse pour tous le monde ; une explosion eut lieu dans une rue adjacente, et la foule se dispersa rapidement, puis les gardes partirent en direction du tumulte, laissant le marchand s'enfuir, et Tari au sol.

Un jeune homme aux cheveux roux se tenait devant Tari et lui tendit la main pour l'aider.

«  J'ai tout vu, fille à l'abricot. Je sais que c'est lui que tu visais. Besoin d'aide pour lui donner une bonne leçon ? »

Il avait un sourire crispé, comme s'il hésitait entre deux expressions. Mais Tari reconnut immédiatement quelque chose de familier chez le garçon : il avait les mêmes yeux qu'elle, le même regard dans lequel danse une folie instable.

Douleur. Dans le corps et dans l’âme.

** Pourquoi ils veulent me séparer d’Abracadabra ? **

Tari saisit la main tendue en tremblant légèrement et se mit laborieusement sur ses pieds. La voix était douce, chaude. Le regard fou, mais rassurant (ou peut-être était-ce la folie, précisément, qui rassurait Tari ?). Puis elle avait déjà été volée, alors à moins de vouloir sa robe… N’empêche, la jeune fille avait peur. On venait de la trahir, et cette félonie était suffisamment déplaisante pour qu’elle en risque une autre. Et si ce n’était qu’une nouvelle torture, un nouveau jeu ? Et si, en réalité, cet homme était le complice du marchand fourbe ? La perspective d’une nouvelle déception lui faisait déjà mal. Sans son abricot, elle n’était qu’une pauvre petite chose, si faible, si vulnérable ! Elle était à sa merci. Totalement.
Oui, mais n’était-ce pas un risque à prendre ? S’il y avait une chance pour qu’elle retrouve son abricot, une seule, ne fallait-il pas tout tenter ?
Mal assurée sur ses jambes, elle s’agrippa au bras du garçon. Son nez était encore douloureux, le sort qu’elle avait lancé l’avait fatiguée, sa rage était retombée la laissant plus seule que jamais, mais il lui avait proposé son aide. Peut-être mentait-il, peut-être se jouait-il d’elle, mais en attendant, c’était son seul espoir. Et si jamais elle se trompait –encore, si jamais cette folie dans laquelle elle s’était si parfaitement reconnue n’était qu’un leurre… Tant pis pour lui.
Elle ficha ses yeux dans les siens, l’emprisonnant dans l’étreinte de son regard.

« Ne me trahis pas. »

Et sa voix se brisa.

Le jeune garçon sourit franchement.

« Pas de contrat, pas de trahison, pas de problème ! »

Il canalisa un pyromana et se mit à courir, emmenant Tari dans les ruelles plus étroite qui striaient l'avenue marchande. Ils rattrapèrent rapidement le marchand qui n'avait pas courut bien loin. Son turban commençait à se défaire et son visage était rouge d'effort. Qu'allait-il faire, ce pauvre marchand, face à l'impitoyable duo ?

Le garçon aux cheveux roux le plaqua au sol et se releva dans une roulade acrobatique avec une agilité tout à fait surnaturelle.

« Il est à toi, fille à l'abricot. »

Son pyromana flottait à coté de lui comme une fée flamboyante s'amusant de la scène.

Tari se tenait là, à peine essoufflée, devant le voleur. Il était couvert de poussière et se débattait dans ses habits amples, ne parvenant pas à se relever. Il était à sa merci. Il implora fébrilement :

« Pi...pitié... Je n'ai rien fait ! »

De nouveau, une folie enfantine éclaira le visage de Tari. Le marchand aurait pu croire que la jeune fille qu'il avait arnaquée un peu plus tôt se tenait devant lui, à la place de celle qui avait failli le tuer mais, malheureusement pour lui, la flamme du meurtre dansait encore dans ses yeux, rendue plus effrayante encore par son sourire joyeux. Et cette fois-ci, il avait peur.
Une peur dont se délectait sans vergogne la si bien nommée fille à l'abricot. Elle avait envie de le voir souffrir, elle savait d'avance qu'elle trouverait ça très amusant. Mais elle n'avait pas tellement envie de fouiller cette masse de vêtements pour trouver son abricot.
Elle eut un sourire radieux à l'égard du garçon à la chevelure flamboyante -après tout, c'était grâce à lui qu'elle pouvait savourer ce moment-, puis observa le marchand d'un œil critique. Que faire de lui ? Il était pitoyable.

"Quand tu dis que tu n'as rien fait, tu mens. Tout comme tu m'as menti tout à l'heure. Et mentir, c'est pas bien. Et pire encore, tu m'as volé Abracadabra. Mon seul ami. C'est très mal de voler les amis des gens. Rien que pour ça, tu mériterais de mourir, là, maintenant. Mais peut-être que tu savais pas que c'est mal de voler les amis des gens, du coup je vais te donner une chance. Donne-moi mon abricot."

L'homme tremblait comme une feuille, mais la mention de vol sembla le détendre, étrangement. Il eut presque l'air arrogant quand il répondit, même si la peur suait de tous les pores de sa peau :

« Je n'ai rien volé ! Vous avez accepter la coupole, mais vous n'aviez pas assez pour payer ! Et comme le stipule clairement les textes Azorius, les marchands sont libre de compenser les impayé par une saisis des biens ! Cet abricot m'appartient, et vous...Vous, vous allez payer ce que vous avez fait, espèce de folle ! Gardes ! Gardes ! »

Il s'était relever, et semblait chercher par où s'enfuir. Le jeune garçon se tenait juste dans son dos et ne disait pas un mot.

Soupir agacé. C'est qu'il insiste, ce marchand ! Tari fut loin d'être ravie quand elle vit qu'il commençait à se détendre. Elle préférait de loin le voir totalement terrorisé. Elle ne comprenait décidément pas pourquoi il s'obstinait. Elle lui aurait donné tout ce qu'il voulait, s'il avait demandé -tout, sauf son abricot. Pourquoi refusait-il si âprement de voir l'importance que cet abricot avait pour la jeune fille ? Ce n'était tout de même pas comme si c'était son ami, après tout ! C'était Tari qui l'avait créé, Tari qui avait partagé sa vie avec Abracadabra, pas cet espèce de marchand grotesque !

"Ce n'est pas un bien, c'est mon ami ! Il va falloir que je vous le répète combien de fois encore ?"

L'exaspération se faisait nettement sentir dans la voix de la jeune fille. Elle ne pouvait pas vivre sans son abricot, il fallait qu'il comprenne ! Lui ôter Abracadabra, c'était pire que lui amputer une partie de son corps, pire que lui voler la moitié de son âme. C'était lui arracher son unique raison (une raison qui, dans le cas de Tari, n'était pas bien développée, avouons-le). Aussi, c'est tout naturellement qu'un nouveau pyromana apparut au-dessus de sa main, tourbillonnant à la vitesse des pensées qui s'entrechoquaient dans l'esprit de la Sans-guilde.
Soupir, plus appuyé cette fois. Elle avait épuisé tout son stock de patience et de gentillesse. Son ton se durcit, tandis que la haine commençait à remonter lentement à la surface.

"Si tu appelles une nouvelle fois les gardes, je te tue. Si tu ne me rends pas Abracadabra immédiatement, je te tue. Je te jure que je le ferais. Je me fous des textes Azorius. Tout ce qui m'importe, c'est mon abricot."

Elle était passée instinctivement du vouvoiement au tutoiement. Elle méprisait l'homme qui lui faisait face, elle n'avait donc aucune raison de lui montrer une quelconque marque de respect. Et, au fond d'elle, elle désirait qu'il résiste. Elle se délecterait de le tuer, elle en était certaine.  

Sans raison apparente, le jeune garçon aux cheveux roux fonça droit vers un mur de la ruelle, sauta, appuya son pied sur ledit mur pour sauter encore plus haut et attrapa le haut du mur avec les mains avait de se hisser sur les briques épaisses. Il venait d'effectuer une escalade de quatre bon mètres sans aucune difficulté. De son perchoir, il pouvait sans doute voir assez loin dans la ruelle qui menait au marchand acculé. Et surtout, à moins qu'on ne pense à lever les yeux, il demeurerait invisible pour qui accourait ici.

Le marchand ne le remarqua même pas. Il était trop occupé à savoir quoi faire pour survivre. Il paniquait, son désespoir le rendait pathétique. Il plongea une main tremblante dans ses long vêtements pour en sortir Abracadabra. Il n'osa pas s’approcher pour le rendre à la folle furieuse qui le menaçait. Mais alors qu'elle reconnaissait son compagnon inerte dans les mains de l'homme, elle entendit des pas. Un rapide regard vers son compagnon cacher sur le mur lui suffit à comprendre que les gardes arrivaient.

Le marchand referma brusquement sa main sur l'abricot magique.

« Je le savais, je suis sauvé !  Gardes ! Gardes, à moi, on m'attaque, on me pille ! »

Puis il tourna le dos à Tari, sans relâcher son ami orangé. L'angle de la rue ne permettait pas à la jeune fille de savoir si les gardes étaient juste à coté ou plus éloigné, mais elle savait en revanche que son bien le plus précieux était encore en possession de l'arnaqueur.

Dégoût. Haine. Mépris. Dégoût, haine, mépris. Litanie des sentiments. Elle avait prévenu le marchand, non ? Alors pourquoi appelait-il à l'aide ? Pourquoi lui tournait-il le dos ? Tenait-il donc si peu à sa vie ? Ou était-il persuadé qu'elle ne ferait pas ce qu'elle avait dit ? Elle n'avait pas l'air bien dangereuse comme ça, c'est sûr qu'elle ne payait pas de mine avec ses grands yeux violets, sa peau délicate et sa taille fine. Elle était la fragilité incarnée. Pourtant...
Pour un peu, elle aurait été triste. Désolée pour lui, comme elle était désolée pour tout ceux qui l'entouraient et qui lui semblaient infiniment dignes de mépris. Presque désolée, en vérité. Un sourire s'épanouit sur son visage, tandis qu'un nouveau mana rouge vint naître au creux de sa main. Oui, elle se délecterait de le tuer, et elle était amplement satisfaite qu'il lui ait donné une bonne raison de le faire. Elle aurait voulu prendre son temps, savourer chacune des souffrances qu'elle lui infligerait, prendre son pied à le torturer. Mais les gardes approchaient. Ses deux pyromanas tourbillonnant, elle se concentra, imagina les abricots, l'incandescence, la douleur -plaisir extatique. Et pour la deuxième fois de la journée, lança un sort à l'encontre du marchand.

*Bon, ce n'est pas glorieux... *

Effectivement, ce n'était pas glorieux. Quatre malheureux abricots incandescents s'effrondrèrent autour de l'homme tandis que deux le brûlaient impitoyablement. Le cri qu'il pousse en se tenant la jambe emplit le coeur de Tari de joie. Et son bonheur atteint le summum lorsqu'elle vit l'imbécile lâcher son abricot. Sourire vainqueur. Tigre en embuscade, elle s'avanca, ramassa son abricot -enfin !- et se posta devant l'impudent. Dans quelques secondes, tout ça sera fini. Il sera mort. Jubilation. La jeune fille se régala de la peur inscrite dans les yeux de l'homme, si faible, tellement peu de choses face à elle -elle pouvait tout faire, il était à sa merci-, et ses yeux s'écarquillèrent de plaisir en songeant à la souffrance qui allait encore être. C'était décidément une très belle journée.
Mais... Lucidité soudaine. Elle avait récupéré son abricot. A quoi servait cette mort, au juste ? Elle avait eu ce qu'elle voulait. A quoi bon tuer encore, toujours faire souffrir ? Au fond, dès l'instant où elle avait récupéré son abricot, elle n'avait plus rien eu contre cet homme. Son abricot était tout ce dont elle avait besoin. Les secondes s'égrenant, elle sentait sa colère s'amenuiser, l'influence d'Abracadra s'infiltrant par tous les pores de sa peau.

La vérité, c'était que c'était pour elle qu'elle était désolée. Par pour les autres, bien qu'ils soient effectivement dignes de mépris -là n'était pas la question-, parce qu'au fond elle s'en fichait. Non, elle était désolée parce qu'elle était seule et incomprise, et qu'elle aurait aimé trouver quelqu'un qui lui ressemblait.
Une douce chaleur l'envahit. Mais elle avait Abracadabra, son ami, et si personne d'autre ne pouvait la comprendre, eh bien tant pis.

Les bruits se rapprochaient.

*Erf, faut que je bouge moi...*

Elle décida de partir, en courant, se demandant vaguement si le garçon la suivrait, l'espérant et le redoutant à la fois. Puis elle se demanda s'il était possible qu'il y ait d'autres êtres, quelque part, dans une autre dimension, qui puissent voir à travers elle.

Alors qu'elle courait, Tari entendit deux bruit distinct, l'un froid et métallique, l'autre doux et humide. Après quoi il y eut une explosion, très faible mais une explosion quand même. Les rues défilaient sous ses pas, sa vie avait de nouveau un sens, car elle avait Abracadabra ! Lui qui la comprenait si bien... Il devait savoir qu'elle était triste. Triste et seule, en vérité, car Abracadabra n'est qu'une extension d'elle même. Elle luttait pour l'oublier, pour vivre encore dans son rêve, mais la sensation d'avoir retrouvé son ami, son unique ami, était incomplète. L'avoir perdu puis retrouvé avait brisé le charme, elle ne le sentait plus aussi vivant, et sa solitude rendait le goût amère du désespoir encore plus insupportable. Alors comme tombé du ciel, le jeune homme se trouva juste devant elle. Il devait être bien rapide pour l'avoir rattrapé puis dépassé ainsi, alors qu'elle n'avait pas cessé de courir.

Il avait une trace d'éclaboussure rouge et fluide, encore humide, sur le visage. Cela ne le préoccupait visiblement pas, puisqu'il lui sourit avant de l’entraînée par le poignet dans une ruelle plus tranquille.

Maintenant qu'ils étaient au calme, elle pouvait l'observer plus en détail. Ses cheveux roux lui donnaient à la fois l'air sauvage et enfantin, mais finalement, ses traits étaient plus durs qu'au premier abord. Son nez droit et sa mâchoire carré le rendait presque strict, mas ses yeux verts et cernés révélaient à quel point il défiait toute rigueur logique pour se complaire dans une folie douce et enivrante.
Il portait une veste de cuir par dessus un vêtement de lin sale et déchiré en haut, tandis qu'un pantalon tout aussi mal entretenu surmontait ses pieds nus. Maintenant qu'elle y faisait attention, le jeune homme paraissait presque exhalé une certaine chaleur. Tout bien réfléchit, oui, la main qui tenait auparavant son poignet irradiait littéralement. Soit il canalisait en permanence du pyromana, soit il sortait d'un bain bouillant.

« Tu l'as retrouvé, finalement ! J'aime beaucoup tes méthodes, fille à l'abricot. On voit peu de gens aussi amusants que toi, tu as illuminé ma journée ! Haha, ces abricots tombant du ciel, c'était merveilleux, vraiment !»

Il sembla se rendre compte qu'il parlait tout seul et la dévisagea, l'air ahuri.

« Euh, moi c'est Nesh, au fait. T'as un nom, toi ? »

La Sans-Guilde réalisa qu'elle aimait bien courir. Vraiment. Elle pensait un peu moins, comme ça, et ressentait un certain plaisir à sentir ses muscles en action. Rattrapée par le jeune garçon -il l'avait suivie !- elle eu un instant d'incertitude, ne sachant pas tellement quelle attitude adopter face à lui. Elle attendit quelques secondes avant d'offrir un sourire timide à Nesh. Ses paroles la touchaient tellement qu'elle en aurait rougi de plaisir. Elle savoura un bref instant cette agréable sensation avant de reprendre.

" Nesh. C'est joli, marrant. Le mélange de "naît" et de "lèche", comme si tu étais né pour lécher les gens. Ou alors, mélange de "lait" et de "èche", ce qui ferait de toi du lait appâteur de poissons. Hum. Moi c'est Tari !"

Quelque chose de curieux se passait en elle. Pour la première fois de sa vie, elle ressentait une certaine angoisse due aux regards des autres -de l'autre, en l'occurrence-, une crainte d'être jugée. Après tout, si elle pouvait mépriser les autres, la réciproque était vraie. Et Tari avait conscience que ses propos décousus pouvaient avoir un effet rébarbatif. Mais après tout, il était là, devant elle, donc ça ne devait pas tellement le gêner. Puis il semblait être aussi barré qu'elle... Il fallait qu'elle soit sûre quand même. Tout cela n'était peut-être que le fruit d'un formidable hasard.

* Tant que c'est pas un fruit de mer ! Haha ! ... Haha ? Heureusement que je ne parle pas toujours à haute voix... *

Ceci dit, rien ne lui prouvait que Nesh n'était pas un fruit de mer. Tout comme rien ne lui prouvait que ce n'était pas un méchant venu lui voler son abricot. La jeune fille se glaça à cette pensée. Abracadabra avait beau n'être pas vivant pour de vrai, c'était en revanche vrai qu'il était la seule chose qu'elle avait. D'un air qui se voulait désinvolte, elle enchaîna :

"Et pourquoi tu m'as suivie, au fait ?"

Les yeux de Nesh semblèrent s'ouvrir comme la porte de l'Erebe et un sourire dévoilant des dents étrangement pointues fit plisser les traits de ses joues presque creuses.

« C'est évident, Tari. Je t'ai suivie parce que tu es seule... »

Le temps autour d'eux semblait s'être figé. Qu'entendait-il par là ? La lueur dans ses yeux ne laissait présager qu'une infime partie de l'abîme tortueux des possibilités de trahisons et de tortures qui auraient pu germé dans l'esprit du dernier des Démons... Mais il poursuivit :

« Aussi seule et perdue que je l'étais. Tu avais des ennuies, je t'ai aidé, et tu pars comme ça, sans rien dire. Pour moi, ça ne peux vouloir dire qu'une chose : tu es l'une des notre. Les autres sont tous fous, ils s'engagent et attendent, ils se lient et complotent, mais nous, nous sommes libre....Comme des abricots volants. C’est pour ça que je t'ai suivi, pour te dire qu'on est des milliers, comme toi !»

Il sortit un étrange cailloux de sa poche et le tendit à Tari.

« Tiens. Si jamais tu veux de nouveau jouer avec moi ou un des nôtres...Fais brûler la pierre. On sera toujours là pour une des nôtres. Et si jamais quelque chose brûle quelque part... Viens jouer avec nous ! Ou passe ton chemin. J'ai bien dû manquer quelques personnes à l'heure de la sieste, moi. »

Il semblait parti dans son monde, tout à fait convaincu qu'une horde de...de taré se baladait en liberté à travers tout Ravnica, prêt à accourir si quelque chose brûlait. Qu’est-ce que c'était que ce délire ? Il tendait toujours la pierre à Tari, une étrange gemme qui ne semblait pas être une pierre précieuse mais qui était indéniablement magique. Quelques éclaire rougeoyants grésillaient autour d'elle, se reflétant dans ses surfaces orangées.

*Trop bieeeeeeeeeen !*

Tari regardait la pierre avec des yeux écarquillés d'admiration, totalement fascinée par les reflets rougeâtres qui se mouvaient étrangement sur la pierre, dans une danse hypnotique. Qu'est-ce qu'elle était belle !
La jeune fille l'effleura du doigt, conquise. Elle la frôla, la caressa, avant de l'élever et de la regarder de plus près, à la lumière. Elle était vraiment magnifique. Mais...

" Pourquoi tu veux que je la fasse brûler ? Elle est jolie, j'ai pas envie de la brûler. Si je la brûle, j'en aurais une autre ? Si j'en ai une autre, je veux bien la brûler. Et je brûlerais l'autre aussi si après tu m'en donnes encore. Toi aussi, tu es amusant ! Jouer avec le feu, c'est drôle."

Elle était contente, l'elfe-fée, elle avait trouvé quelqu'un qui lui parlait de feu et de jeu, d'abricots volants et de liberté, quelqu'un qui semblait la connaître, la comprendre enfin ! Et c'était grisant, elle avait l'impression d'être entrée dans un nouveau monde, avec de la couleur et de la chaleur partout. Un monde à la folie exacerbée. Un monde où d'autres gens comme elle l'attendaient. Que c'était bon de se sentir appartenir à quelque chose ! Même de loin, même si elle ne savait pas ce qu'était la chose en question.

" Tu dis que je suis des vôtres... Mais qui êtes-vous, au fait ? Et... Ça veut dire quoi, "ils s'engagent et attendent" ? Qu'est-ce que les gens peuvent attendre ?"

Tari ne se souvenait pas d'avoir déjà eu une discussion comme celle-là. Il lui semblait avoir tant de choses à apprendre ! Elle ne voulait pas que Nesh s'en aille jouer avec d'autres gens. Pas encore. Après, oui, parce qu'il était libre et qu'elle l'était aussi, parce qu'elle sentait confusément qu'elle n'aurait pas besoin de lui pour jouer, aussi. Mais pour l'instant, elle voulait savourer sa présence encore un peu.

Nesh souriait de plus belle, il fit de grands gestes en répondant :

« La pierre est spéciale, ne t'en fais pas elle ne se consumera pas. Elle brûle un instant puis redevient terne, mais on saura tous que tu l'as allumé, ça oui ! »

Le fait que Tari accepte la pierre semblait le ravir, comme si c'était elle qui lui faisait un cadeau.. Ses yeux s’éclairaient d'une folie enfiévrée, et sa voix semblait résonné dans sa poitrine avant de sortir.

« Nous...nous tous, nous sommes tes frères et sœurs, Tari, nous sommes... Nous sommes les vrais fils de Ravnica. »

Puis ses mains s'agitèrent dans tous les sens et il se mit à tourner autour de Tari

« Les autres...ce sont les Guildes et ceux qui leurs sont soumis, tous ceux qui ne se révoltent pas, tous ceux qui ne jouent pas et meurent sans gloire, sans amusement, ceux qui regrettent leur vie au dernier moment. Ils s'engagent par contrats, se forcent la main et attendent des bénéfices, ils investissent les uns sur les autres, ils complotent, fomentant des intrigues pour se piéger mutuellement. Ce sont les marchands et les gardes, des aveugles qui pensent que le monde leur est acquis. Et ce sera le cas...Si toi et moi baissons la tête sans réagir. »

Il pointa Abracadabra du doigt.

« Mais tu as montrer que tu es des nôtres en te réappropriant ce qui t'appartenait, en te battant pour ce à quoi tu tiens. Vivre libre, c'est tous ce qui compte. »

Il posa montra ses mains à Tari, et elles s’enflammèrent.

« Ceux qui vivent libre trouvent leurs pouvoirs cachés et gagnent le droit d'être heureux. »

Le sourire de Nesh était contagieux, sa folie aussi. En voyant ses mains s'enflammer, Tari fit de nouveau brûler un pyromana au-dessus d'elle. Mais cette fois, elle n'utilisa pas sa haine ou sa colère - simplement cette envie furieuse de voir du feu, de sentir sa chaleur, de jouer avec.
Luciole flamboyante, la flamme dansa sur son bras, tournoya, virevolta, dispensant ça et là de longues caresses brûlantes.
La jeune fille l'observa un instant avec fascination, avant de scruter les yeux de son interlocuteur. Là aussi, le feu y dansait.

" Je ne savais pas que Ravnica était ma mère. Hum... En fait, ça ne m'étonne pas ! Il n'y a qu'elle qui peut l'être, en fin de compte. "

Le fait d'être la fille d'une ville était très troublante. Pourtant... maintenant, il lui semblait qu'elle aurait dû s'en rendre compte avant. Une étincelle brilla dans ses yeux, et elle commença à sautiller sur place.

" On baissera pas la tête sans réagir, pas vrai ? Le monde ne leur appartient pas, il est libre le monde, il peut pas appartenir à des gens qui sont esclaves des autres et d'eux-mêmes. Ils vont détruire tout ce qu'il y a de beau et grand s'ils continuent !"

Elle secoua la tête d'un air réprobateur, mécontente. Puis elle joua un instant avec la pierre offerte, pensive, et l'étincelle brilla plus fort dans son regard. Elle éclata de rire.

"Mais nous... Nous, on est libre, et on laissera pas Ravnica être détruite par les ambitions des autres, non, on les laissera pas faire... ! On va se battre pour ce à quoi nous tenons. Oui, oui, j'ai compris. Le feu va nous aider. Bon. On va jouer maintenant ?"

Les flammes dansaient, les enfants souriaient et les pavés de la ville-monde s'éclairaient de leur joie flamboyante. Quelle autre facette du bonheur pouvait exister pour ces pauvres fous inadaptés ? Ils allaient courir la rue, brûlant, dansant, chantant, ils fuyaient l'ennuie pour la démence, l'ivresse d'être des Dieux quand on est une ombre, la joie d'être vivant au delà de toute espérance quand on est qu'une voix morte, étouffée sous la terre sourde et muette.
Ils semblaient traversé rues sur sures au hasard, comme deux diables hystériques, deux lions libérés de leurs chaînes. Mais ils avançaient vers les champs. Lentement mais sûrement, les rues se changèrent en un vaste labyrinthe de pierre et de mousse, l'odeur avait imperceptiblement prit la gorge de Tari dans un étaux étouffant : une odeur de mort.
Les habitants se faisaient plus rares mais surtout plus discret. Une ambiance tout à fait différente régnait ici, et s'ils paraissaient totalement illuminé dans les autres quartiers, nos deux compères tranchaient littéralement avec le décors dans celui-ci. L'atmosphère se faisait plus humide, le sol parfois se révélait spongieux, même si des pavés émergeaient encore ça et là. Nesh s’arrêta et se retourna vers Tari.

« On est en territoire Golgari. Même s'ils sont beaucoup plus sous terre, on risque de ne pas être bien accueilli ici. Tu savais que leur culture de champignon nourrissait la majeur partie des pauvres de Ravnica ? »

A quelques pas de leur position, un vieil homme encapuchonné parlait au seul type qui contrastait autant que Tari et Nesh dans ce quartier sordide : un Rakdos à la peau violacée dont les bras étaient transpercé de part en part avec de nombreux objets métalliques tels que des clous, des tourne-vis et même une petite dague. Son large dos couvert de cicatrices était vouté, comme s'il voulait se baisser pour parler au vieil homme, bien que sa stature imposante ne pouvait en aucun cas le rendre plus discret.
Après un échange de piécettes, allant de la main du Rakdos à la poche du vieil homme, ce dernier passa au coin de la rue, suivit du démon maintenant dressé de tout ses deux mètres vingt sur ses épaisses jambes.

« Allons voir ! »

Caché derrière un chariot abandonné, Tari et Nesh observèrent en silence l'étrange marché. Le Rakdos avait apporté dans une grande carriole de bois un tas de cadavre atrocement mutilé, visiblement des victimes innocente d'un raid sanglant. Le vieil homme psalmodia et son poignet se leva lentement, puis se baissa, et se releva tout aussi lentement. Un a un, les cadavres se relevèrent, mollement, sans entrain et probablement sans vie, bien qu'ils se mouvaient de nouveaux en ce monde.
Le Rakdos semblait satisfait de son achat et repartit dans sa carriole, accompagné de sa horde d'esclave dégingandé, qui le tirait péniblement hors de ces terres marécageuses. Nesh paraissait furieux.

« Si même la mort ne nous libère pas, la révolte est le seul vrai remède, n'est-ce pas ? Nous n'avons pas le temps de pleurer les plus faibles, incapable de reconquérir leur liberté...Mais j'ai de la peine pour tous ceux là. »

Puis il se retourna et sourit à Tari.

« Mais peut-être peut-on encore faire quelque chose eux ! »

Nesh avait raison ; le cortège de pantins désarticulés était triste à voir. C'était un sacrilège, un défi lancé à la Nature et une injure portée à la vie, quelle qu'elle soit. Pourtant, ce spectacle ne remuait pas les entrailles de Tari. Elle regardait le Rakdos mener ses sinistres marionnettes avec curiosité, mais ni peine ni rage n'apparaissaient sur son visage. Aussi fut-elle un peu surprise quand son acolyte lui parla de faire quelque chose.

" Pardon ? De qui parles-tu ?
- Ces cadavres ambulants sont des esclaves! Faisons d'une pierre deux coups. Il n'y a qu'une chose qui puisse les libérer d'une servitude éternelle... Allumons les flammes de la liberté sur leurs corps asservis, que leurs âmes soient libérées et qu'elles voguent où leur chante! Ne peut-on pas voler en tant que panache de fumée?
- Aaaah, eux. "

Maintenant qu'elle y pensait, ça aurait dû être évident. En le regardant, Tari constata son air totalement halluciné. Pour l'instant, il restait là, mais si elle ne se décidait pas très vite, il partirait sans elle. Sans aucune chance de vaincre. Car s'il pouvait s'en sortir face aux morts-vivants, le Rakdos ne le laisserait pas vivant.
Seul un fou peut comprendre un autre fou. La jeune fille comprit la fureur qui habitait Nesh face à ce spectacle, et en plus de la comprendre, elle la fit sienne. Les paroles qu'ils s'étaient échangées dans la rue se parèrent d'un sens plus profond, qui se nicha solidement en elle. Un pyromana vint tournoyer autour de son poignet, éclairant leurs regards fous. Elle ne serait sûrement pas très utile, mais elle serait là.

"Je te suis. Par contre, je suis incapable de faire ce que tu fais. Et je doute que mes abricots incandescents fassent énormément de mal à ce démon. Mais je te suis !"

Une idée illumina soudain son esprit. Elle sortit la pierre récemment acquise et la fit jouer entre ses doigts. Ses yeux brillèrent, et un sourire enfantin éclaira son visage.

"Tu as dit que si on l'enflammait, d'autres accourraient ? Ca pourrait être marrant, non ?"

Nesh prit sa propre pierre et l'alluma au creux de sa main, en canalisant un pyromana directement dedans. Entre ses doigts, Tari vit sa pierre s'allumer elle aussi, puis elle comprit. Un seule face brillait, celle qui pointait vers Nesh. Les pierres servaient de boussoles ! Mais puisqu'elle ne brillait que dans une direction, cela signifiait qu'ils étaient les seuls à demander de l'aide. Soit ils n'étaient pas aussi nombreux que Nesh le prétendait, soit les autres gardaient leurs problèmes pour eux.

Quoi qu'il en soit, elle n'eut pas le temps de se poser plus de question, Nesh se mit à courir droit vers un mur, puis il sauta dessus et attrapa le rebord de la fenêtre, se hissa dessus et bondit une fois de plus en direction du toit, qu'il atteignit de justesse. Il s'y hissa et dévala les tuiles pour atterrir probablement de l'autre coté, sur le chariot. Tari préféra faire le tour, sachant qu'elle perdrait bien trop de temps à escalader cette façade, et trouva en effet son jeune ami dans une situation des plus périlleuse.

Le jeune garçon était au centre de la rue, le chariot lui faisait face et le terrible Rakdos le défiait.

« Bouge de là, minus, j'ai assez d'esclaves ! »

Mais l'enfant roux n'eut pas le temps de répondre, un claquement de doigt du monstre fit se retourné tous les corps asservis dans sa direction. L'ordre tomba tel un couperet.

« Tuez-le. »

Dans un geste, le Rakdos sortit une immense épée, qui était étendue dans sa carriole, et tous les Sans-vie se mirent à descendre du chariot. Même ceux qui le tiraient lâchèrent les planches de bois et avancèrent vers leur proie. Tari en comptait une bonne trentaine, et c'était beaucoup trop. Personne ne l'avait encore remarqué, et si elle ne bougeait pas, personne ne saurait qu'elle était avec ce fanfaron inconscient. Elle se demandait si les renforts arriveraient à temps, mais étant donner les circonstance, la réponse était évidente : si elle ne faisait rien, son ami mourrait.