Le rouge et le noir

HRP : quête solo pour Elryann, suite de cette quête.

"Rshhhhhh."
Le son résonna dans le couloir taillé de façon brutale et dissymétrique dans les décombres concassés par leur propre poids. Ejö se retourne vers Elryann.
"La chambre aux trésors Gruul. Ils savent déjà où nous sommes. A toi de jouer !"
Et sur ces mots, il s'enveloppa d'une cape de ténèbres magiques et disparut à la vue de la jeune humaine. "Rshhhhhhhhhhhhh", résonna-t-il de nouveau.

Elryann se retrouva seule dans une semi-obscurité, soupçonnant Ejö de l'observer avec son habituel sourire dur. Ce qui n'était pas de nature à la rassurer, le Rakdos ne pouvant se définir comme son allié. Quelque chose haletait légèrement tout près d'elle, crevant le silence minéral qui l'environnait. Elle posa cinq doigts tremblants sur le manche de son cimeterre, et tendit l'oreille, avant de réaliser péniblement que cette respiration irrégulière provenait de sa propre poitrine. Ejö s'était fondu dans les parois rocheuses, d'où perlait l'humidité la plus pure, fruit de la porosité de ces grottes et de la condensation occasionnée par une occupation récente. Un peu de mousse joufflue s'épanouissait dans les renfoncements, le sol terreux exhalait une forte odeur d'eau croupie, et la seule source de luminosité émanait du pyromana d'Ejö, qui étirait son ombre sur plusieurs mètres. Ses cheveux pendaient de chaque côté de ses épaules, ils avaient une senteur chaude, florale. La chaleur qu'ils diffusaient réchauffait imperceptiblement le cou d'Elryann.

* Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit... *

Elle se trouvait dans les grottes Gruuls, à l'endroit où ils entreposaient leurs bibelots symboliques, leurs breloques de guerre, tout ce qu'ils estimaient précieux ou emblèmes d'une quelconque victoire. Ils n'avaient plus croisé personne depuis quelques minutes, et Ejö lui avait dit, avant de s'évaporer, que les Gruuls savaient où ils...enfin, où elle se trouvait.
Si ce qu'elle connaissait des Gruuls était fiable, elle était pistée en ce moment même et une embuscade l'attendait patiemment. Même s'ils étaient chez eux, les Gruuls ne se montraient pas. Et le Rakdos voulait qu'elle récupère un artefact dans leur salle aux trésors.
Elryann s'était rarement sentie aussi proche de la mort. Il était vain de fuir, car Ejö aussi bien que les Gruuls coupaient sa retraite. Si elle se sortait de ce bourbier-là, elle ne laisserait certainement pas son machiavélique amant (mais pouvait-on l'appeler ainsi ?) s'en tirer aussi facilement que la dernière fois.

* Ou alors avec force dextérité, comme à l'accoutumée. *

Elle avait l'impression que les yeux glaciaux du Rakdos la suivaient encore, ainsi que des milliers de prunelles lupines qui la guettaient pour l'étriper. Jeter la torche pour se cacher dans le noir ? Ces sauvages le perçaient bien mieux qu'elle. La garder en main et avancer ? Autant annoncer son arrivée avec un orchestre de percussions. Devant ce choix limité et pour tout dire déprimant, Elryann haussa les épaules, fataliste, et au lieu de se rouler en boule en sanglotant, elle se mit en route. Elle avançait doucement, s'enfonçant dans l'inquiétant tunnel au creux de la petite bulle lumineuse que formait autour d'elle le pyromana. Et tant qu'à être repérée, tirée dans l'ombre et éviscérée, autant chanter. C'est ainsi qu'Elryann se mit à chantonner une ballade romantique des Quartiers Neutres, et, bien que sa voix fût un peu tremblante, elle jugea son approche plus pacifique de cette manière. Après tout, pourquoi dégainer son arme ? Ils étaient plus nombreux. Mais bon, garder la main à proximité du cimeterre ne coûtait rien. Dans sa tête, elle insultait copieusement le démoniaque Rakdos qui, sans aucun doute, avait décidé de la mettre à mort aujourd'hui. Avec un peu de chance, les Gruuls la garderaient comme esclave ou otage si elle leur donnait son nom de famille ? C'était peu probable, et pire que le meurtre de surcroît. Encore un des jeux pervers qu'affectionnait Ejö, en dépit de l'insistance d'Elryann pour qu'il modère ses penchants qui, sous une forme amoindrie, ne déplaisaient pas à cette dernière.
Mais là n'était pas la question. Elle avançait.

Elryann se surprit à rêver d'un monde où Ejö et elle seraient tombés amoureux l'un de l'autre, sans plus chercher à s'aliéner, sans plus avoir besoin du visage de l'autre pour jouir d'une souffrance plus grande encore que la leur. Un soir, alors qu'il la laissait s's'étendre contre lui en prenant plaisir à moquer l'exubérance qui venait à peine de la quitter, elle avait levé vers lui un regard triste, fatigué. Quelque chose s'était imperceptiblement modifié dans l'expression du Rakdos, sans qu'Elryann ne sache s'il s'agissait de compréhension ou d'indifférence. Il l'avait néanmoins laissée dormir sans plus chercher à l'offenser...du moins pour la nuit.
La jeune sans-guilde s'ébroua. Elle n'était pas disposée à se bercer d'illusions, pas plus qu'à débuter une séance de psychanalyse. Elle avait à peine formulé, avec toute l'urbanité du monde, sa requête, qu'un mouvement à ses côtés trahit le geste d'ébahissement que n'avait pas retenir son cruel mais néanmoins raffiné compagnon. Elle fit mine de n'avoir pas remarqué, et entreprit de revenir à sa vision naturelle. Au moment où la couleur psychédélique de la matière qui l'environnait s'estompa, la l'arche s'illumina violemment et...elle s'ouvrit dans un lent coulissement.
Elryann, écarquillant les yeux, découvrit devant elle une étendue chatoyante : une salle aux trésors digne des banques les plus prospères, aux pièces d'or amassées telles des dunes étincelantes, plantées d'objets aussi brillants qu'hétéroclites. Comme pour couper court à sa stupéfaction muette, quelque chose bougea et, avant qu'Elryann n'esquisse un geste, un sabot de centaure chuta juste au seuil de la porte. Elryann pouffa nerveusement – peut-être était-ce celui qui lui avait ouvert ? Il avait visiblement commis une grave et fatale erreur. Au même moment, la porte amorça un basculement en sens inverse, pour se refermer lentement. Pas complétement folle, Elryann roula en boule le foulard qui ceignait ses cheveux et le lança à travers ce qu'elle supposait être une barrière magique : il atterrit, intact, sur un tas d'or. Poussant un juron peu recommandable, Elryann ferma les yeux, leva des poings crispés de chaque côté de sa tête et se rua à travers l'ouverture qui mençait de se clore définitivement.

Lorsqu'elle déboucha dans l'immense caverne, le sang battait si fort contre ses temps qu'elle en était étourdie. Elle prit quelques secondes pour calmer ses pulsations cardiaques, et en profita pour détailler le paysage en touriste avertie. La grotte était si vaste qu'elle aurait pu engloutir plusieurs places des Paruns, et ses richesses indénombrables. Il y avait, bien entendu, des montagnes d'or entassé sous des formes variées – pièces, anciennes ou nouvelles, lingots, bijoux, statuettes, vases...- mais également des objets qui, s'ils semblaient importants, étaient parfois d'une valeur marchande moins évidente. Des boucliers fracassés, des colliers faits de perles grossières, des épées ébréchées, usées par le temps, des pagnes brodés...Elryann ne trouvait en face de siècles de butin de guerre Gruul. Parcourue d'une sueur froide, elle regarda autour d'elle à la recherche d'Ejö. Elle était presque certaine d'avoir perçu un souffle alors qu'elle s'engouffrait dans la caverne, mais nulle trace du Rakdos.
Soudain, un fracas lointain parvint à ses oreilles. En se concentrant, elle s'aperçut que les crissements métalliques et les grognements qu'elle percevait étaient en réalité plus proche qu'elle ne l'avait imaginé : une bataille se déroulait derrière une dune colossable qui lui barrait le passage. Il n'y avait, à sa connaissance, personne d'autre dans la caverne, ce qui était fort surprenant pour un lieu de cette importance. Mais que s'était-il donc passé ? Les combattants, quels qu'ils soient, ne semblaient pas se rapprocher, aussi canalisa-t-elle deux pyromnanas, notant au cours de l'opération la concentration troublante de cette énergie dans cette salle géante.
N'ayant pas la moindre idée de ce qu'elle était censée faire dans cette cachette barbare, ni de la façon dont elle allait en sortir, elle décida de se diriger discrètement vers les belligérants, qui ne s'épuisaient guère, à en juger par les fracas continus et les cliquetis des pièces qui devaient voler. Elle escalada donc lentement, avec moults précautions et reptations timides, la dune d'or, et se risqua enfin à jeter un coup d'oeil de contrebas.
Deux Gruuls se battaient, et la rage de leurs assauts faisait vibrer les parois minérales de la caverne. Pas étonnant qu'ils ne l'aient pas entendue débarquer : les Gruuls ne s'attaquaient pas à leurs frères pour des broutilles, il s'agissait d'un duel à mort. Les veines saillantes, les muscles bandés, les épaules en sueur; ils faisaient frémir Elryann, qui, pour le coup, si elle avait hésité à signaler sa présence, jugea préférable de se faire oublier. L'un des Gruuls était un vashino massif...Elryann recula très, très doucement, tâchant de modérer sa fébrilité, et descendit de son promontoire.

«Et maintenant, je dois-je faire ? » Murmura-t-elle entre ses dents, à l'adresse d'un Ejö bien trop évasif à son goût. Aucune réponse. Elle allait donc devoir naviguer seule dans cet infâme bourbier. Quand elle raconterait ça à Yarkol, il allait en faire, une tête..! Ah, non, il ne ferait pas la moindre tête. Et son ventre qui... * Grmpf. * Où était ce bougre d'Ejö ? Elryann, usant une nouvelle fois de son pouvoir de sang, et cette fois sans retenue, balaya les monts dorés du regard...ses yeux accrochèrent ce qui semblait être une inépuisable source de mana rouge, qui zigzaguait à travers la pagaille. Au passage, elle nota que certains objets avaient une lueur intense, parfois aussi forte que ceux d'un mage, et se promit d'y revenir si elle en avait le temps. Sur la pointe des pieds, s'efforçant d'adopter une démarche souple et silencieuse, elle suivit la concentration de pyromana, et découvrit, comme elle s'en doutait, qu'il ne s'agissait pas de son compagnon, mais d'une silhouette haute et voûtée, pourvue d'un capuchon peu engageant. Celle-ci se faufilait comme une araignée, toute noire sur les pièces brillantes. Déconfite, Elryann s'attendit à ce que l'individu l'interpelle : une telle puissance magique l'avait sans doute déjà détectée. Pourtant, l'inconnu ne lui prêta aucune attention, poursuivant son cheminement à vingt mètres devant elle. Peut-être Elryann était-elle particulièrement furtive, mais quelque chose lui disait que non. Estimant qu'il ne fallait pas tenter le diable, elle s'apprêtait à mettre de la distance entre elle et la silhouette, quand un objet, sur sa gauche, attira son attention. Une dague était posée sur un tapis poussiéreux, une dague au manche hérissé de pointes, qui semblait avoir été sculpté avec une telle malveillance qu'Elryann n'eut même pas besoin d'en voir la couleur pour deviner qu'elle avait appartenu à un Rakdos. Malgré l'évidente vétusté de l'objet, trahie par la patine du pommeau, la lame était aussi affûtée qu'un stylet. Elle ne put s'empêcher de poser la main sur son cou en imaginant la sensation de cet acier sur sa peau, et détourna le regard. Cette fois-ci, un artéfact autrement plus captivant lui sauta aux yeux : derrière une boule de cristal marquée du sceau Azorius, avait été jeté un disque d'or, lisse et luisant. Mais ce n'était pas la pureté de son métal, ni sa parfaite rotondité qui interpellèrent Elryann. Cet objet aux couleurs Boros dégageait plus de puissance magique que n'importe quel autre à portée de vue dans ces lieux. Et plus encore, Elryann décela...une présence dans l’artéfact. Interdite, elle écarquilla les yeux, et s'accroupit au niveau de l’artéfact, avec l'étrange impression d'aborder une personne très intimidante. Aussitôt, elle sentit une intrusion à la périphérie de son esprit. Son premier réflexe fut de se crisper, mais elle finit par se détendre. Se sentent parfaitement stupide, elle inscrivit mentalement ces mots :

« Êtes-vous là depuis longtemps ? »

L'objet semblait heureux de communiquer avec quelqu'un, mais terriblement épuisé – il était déconcertant d'interpréter les émotions d'un disque d'or, aussi particulier soit-il. La réponse prit la forme d'un vague acquiescement. Elryann éprouva alors une drôle de compassion pour ce petit objet, oublié au milieu de tant d'autres, petit bout de mémoire endormie et mélancolique. Et son sang ne fit qu'un tour.

« Voulez-vous rejoindre votre guilde ? Je peux vous y conduire. »

Une nouvelle fois, l’artéfact sembla approuver ses paroles, mais manifesta son accord de façon nette : il devint plus lumineux, comme enthousiaste, et, lorsqu'elle le prit soigneusement sur sa paume, il était agréablement chaud. Elle le plaça confortablement dans sa sacoche, et il réduit obligeamment sa luminosité, apparemment soucieux de ne pas la faire repérer.
Elryann remarqua soudainement quelque chose qui lui avait échappé, toute à sa fascination : les bruits de bataille avaient cessé. Après un rapide coup d'oeil sur la fermeture de son sac, elle contourna la dune. De là où elle était, elle pouvait voir le cadavre de l'un des combattants. Nulle trace du vainqueur, pas plus que de l'énigmatique silhouette pyromaniaque. Ni d'Ejö, d'ailleurs.
Au moment même où Elryann se faisait cette réflexion, avec une inquiétude croissante, Ejö fusa à travers le décor, parfaitement visible, et s'écrasa sur une colline d'or, à une vingtaine de mètre de la jeune femme. Sidérée, Elryann se redressa, prête à bondir. Jamais encore elle n'avait vu Ejö en mauvaise posture. Qui avait bien pu..? Brusquement, la montagne explosa littéralement, faisant valser toutes les pièces et les objets qui la composait dans un déflagration, révélant un Ejö vraiment, mais alors vraiment pas content, debout, cinq pyromanas autour du poignet.
Devant lui se dressait une créature ravagée, au visage monstrueux, qui semblait avoir été rongé par la pire des pestes; et qui n'était autre que la silhouette qu'Elryann avait suivie. Sous les yeux grands ouverts de la Sans-guilde, le Rakdos projeta un véritable torrent de flammes, massif et furieux, en direction de son adversaire. L'attaque magique percuta sa cible de plein fouet.
L'humanoïde, cependant, n'avait fait que trébucher, et malgré les flammes qui brûlaient son corps, récitait d'alarmantes incantations. Elryann fit quelques pas en direction d'Ejö, la main sur son cimeterre – mais que pouvait-elle contre un ennemi qui posait des difficultés à son ténébreux compagnon ? Il lui lança enfin un bref regard, dont elle ne sut déchiffrer le sens. Au même moment, un centaure se rua sur la créature défigurée, et abattit un marteau colossal sur son épaule. Elryann n'y comprenait décidément plus rien, mais Ejö, de son côté, avait visiblement pris une décision, puisqu'il avait canalisé quatre pyromanas qu'il consomma immédiatement pour ouvrir un portail. Il se tourna vers Elryann, le visage neutre.

« On s'en va. » , lui dit-il calmement, avant de traverser le portail. Sprintant de son mieux, elle le suivit, et le temps d'une exclamation, se retrouva dans le tunnel par où ils étaient arrivés. La caverne avait disparu, ils étaient seuls. Ejö l'inspecta rapidement du regard, pour vérifier qu'elle n'était pas blessée, avec le visage des mauvais jours. Il semblait....contrarié. Elryann, de son côté, avait du mal à contenir son soulagement, mais jugea préférable de n'en rien montrer. Dans son sac, le petit disque d'or manifestait sa présence en chauffant doucement contre sa hanche...

Up ? *regard plein d'espoir*