Eponges d'une nuit d'été

" Jsuis bourré putain, jsuis vraiment trop rond. " crachait-il, alors qu'il pourrissait assis au bord d'un quais. Les paroles qu'il venait de dire sortait comme du poison, comme s'il se punissait lui-même. Il avait d'ailleurs de grandes difficultés à se maintenir assis dignement, mais la dignité, il l'avait laissé à l'abandon à partir du demi-litre de whisky. Quoiqu'il devait avoir gardé encore un peu de dignité au fond de lui, puisqu'il l'a vomi ce reste, et surement beaucoup d'autre choses avec, dans l'eau. Il se passa le dos de sa main gauche sur la bouche, la droite tenant la bouteille, et reprit une gorgée aussitôt, pour rincer le désagréable goût qui lui restait dans la gorge. Le liquide alcoolisé le fit se trémousser très légèrement jusqu'à ce qu'il se donne une petite claque pour calmer tout ça.

Il tenta de se lever, mais sans grand succès, et retomba sur son arrière-train de manière assez pathétique. Il tenta une nouvelle fois pour finir comme la précédente. Décidément, il ne pourrait pas rentrer chez lui, ça lui paraissait à fortiori impossible. Surtout dans son état. Il ne savait pas où il était, ni comment il était arrivé là. Quoique si. Il se refaisait le cheminement dans sa tête, preuve de son état mental encore loin du coma éthylique. Il était passé à la taverne Boros et avait un peu foutu le bordel en cassant deux tables et en se mettant la garde de nuit à dos, garde qu'il sema assez vite. Il passa ensuite chez les selesnyas, mais la encore, c'était pourri. Leur absence totale d'alcool couplée avec une ambiance digne d'une communion de gamin, ça n'allait pas du tout. Il alla ensuite chez les gruuls où il y retrouva quelques connaissances qui l'ont introduit à un jeu fort original : Le Cacé-boivé. Certes, l'ortographe n'y est pas, mais le jeu consiste à boire un demi litre d'un alcool quelconque dans sa totalité, et briser le contenant sur le sol avant votre adversaire. Si vous réussissez, votre adversaire part avec un peu plus de boisson que vous pour le prochain tour, et si vous échouez, c'est vous qui commencez avec une pénalité la fois suivante. Bien évidemment, une fois qu'on a une pénalité, un surplus de quantité, il ne s'annule pas la fois d'après, les surplus se cumulent, ce qui fait qu'on arrive facilement au litre, voire au gallon d'alcool. Le jeu s'achève quand l'un des deux joueurs tombe, échoue à briser la choppe sur le sol, ou s'endort. C'était donc chez les gruuls que l'homme piqua un roupillon qui dura un certain temps. Réveillé, le soulard continua sa randonnée alcoolisé pour se finir dans les quartiers neutres, assis sur les bords de quais. Ce n'était pas très glorieux.

Il avait enfilé une grande cape grise qui le recouvrait intégralement, avec capuche. Et ce vêtement le gênait au plus haut point, si bien qu'en essayant de se dépêtrer de sa prison vestimentaire, il s'écroula, allongé sur le sol, et engagea une lutte acharnée avec le vêtement. Vu de l'extérieur, on aurait pu penser à un fou jouant avec sa camisole, puisqu'on ne voyait qu'une boule grise qui bougeait dans tout les sens.
Soudainement, le vêtement fut entaillé, et deux petits voyous armés de canifs menacèrent l'homme avec le fameux adage "la bourse ou la vie !". L'homme allongé avait changé de ton et était devenu beaucoup plus sérieux, et paraissait aussi beaucoup plus sobre. " J'ai pas de monnaie. Dégage " rétorqua l'alcoolique, tout en envoyant valser les deux importuns dans l'eau des quais avec un mouvement de bras et une déferlante de mana.

" Maintenant, j'ai plus aucun effet ... ces cons m'ont niqué toute mon alcoolémie d'un coup ... Surement vais-je devoir me rabattre sur d'autres choses qui enivrent ..."

Rahinov jeta un petit coup d'oeil en coin à droite et à gauche, et aperçu une demoiselle, chantonnant un petit air, vingt mètres plus loin. " En parlant d'autres choses qui enivrent ... " fit-il d'une voix plus calme et plus douce, en reprenant une gorgée de whisky.

"La bourse ou la vie !"

- Rhaaa.... Maugréa Elryann, troublée dans sa quiétude nocturne. Certains feraient mieux, effectivement, de vider leurs bourses un peu plus souvent, histoire de ne pas ennuyer les braves gens avec des formules aussi macho...

Elle s'apprêtait à se lever et à intervenir, justicière imprégnée de grenadine, mais fut interrompue dans son louable effort par un "plouf" sonore.
Plouf ? Comment ça, plouf ?
Un frisson glacé serpenta le long de son échine lorsqu'elle soupçonna la fin tragique de l'infortunée victime. Cette supposition fut cependant rapidement contredite par deux éléments.
Premièrement, elle entendit faiblement la voix de l'agressé...Sans que celles des voyous n'interviennent. Deuxièmement, un léger bruit d'éclaboussures lui fit tourner la tête. Dans l'eau, le première compère crachotait tout en essayant vainement de réanimer son acolyte qui dérivait, flottant au milieu de quelques résidus de mana. Elryann se blottit dans l'ombre afin de rester invisible à leurs yeux, et repéra l'individu qui les avait mis au tapi si facilement.
Une fois les sinistres vauriens hors de vue, elle soupira, et se remit à chanter.
Peu lui importait que l'inconnu l'entende, il était seul, elle était armée. Ses deux attaquants éclipsés - elle savait trop bien comme les hommes se réconcilient lorsqu'une femme sans défense déambule dans les parages - elle n'avait plus à s'inquiéter.

"Regardez les avant
D'atteindre sa chimère
Plus d'un l'aile rompue
Et du sang plein les yeux

Mourra. Ces pauvres gens
Ont aussi femme et mère
Et savent les aimer
Aussi bien que vous, mieux !"

Fouillant dans les profondeurs quasi-infinies de sa sacoche de cuir, elle s'empara d'une sucette et la porta à ses lèvres non sans une certaine désinvolture. Elle fronça les sourcils en sentant un regard appuyé sur elle. Elle se leva sereinement, posa le bout de ses doigts sur le manche de son cimeterre, se prépara à canaliser un pyromana, et chercha le regard de l'inconnu. Elle ne le trouva guère, dissimulé par un capuchon grisâtre, prolongement d'une cape de la même couleur terne. Sa stature ne lui disait rien qui vaille, pas plus que la bouteille qu'elle crut discerner entre ses mains. Cela dit, il en fallait plus que ça pour entamer son aplomb.

- Votre lancer était impitoyable. Je suis prête à vous céder la moitié de mes friandises si vous me laissez repartir sans me pousser dans les canaux ravnicans, dont l'eau a, soit dit en passant, la même couleur que votre cape. Ce qui n'inspirerait personne de raisonnable.

Cette scène rappelait vaguement à Elryann les dialogues d'ivrognes dans les quartiers extérieurs de Ravnica. Le pathétique de la comparaison sembla cocasse à la Sans-guilde, et elle sourit. Les plus chouettes rencontres survenaient toujours à l'improviste.

" Et pourquoi j'vous prendrais pas toute vos friandises, et vous avec, ma jolie, au lieu du marché qu'vous m'proposez ? Faut pas offrir comme ça aux types comme moi, nous on est des voraces, on veut plus, toujours plus. C't'ainsi, c't'un fait. " Rahinov se releva dans un déséquilibre total, manquant plusieurs fois de se rétamer à même le sol, mais parvint, au prix d'une lutte incessante avec la gravité, à se tenir debout. Enfin, debout étant un grand mot, il serait plus juste de dire qu'il se tenait sur ses deux jambes, le dos recourbé et la tête penchée en avant. Il tourna autour de la demoiselle en la scrutant de haut en bas et de bas en haut, de son habillage jusqu'à ses courbes physique, rien n'échappait à cet homme qui avait scruter mille et une femmes de la même manière. Il se mit face à la jeune femme, et, comme s'il prenait des mesures, en penchant la tête tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en étant en équilibre instable sur pied, le corps penché d'un côté, l'autre pied, levé, fixa ses seins avec insistance. De temps en temps, il buvait son whisky. il se mit ensuite dos à la jeune fille, et reproduisit exactement la même procédure, toujours avec son whisky.
Lorsqu'il eut finit, il se remit dans une position plus honorable, revint en face de la demoiselle, et la cintra par la taille en prenant bien soin de malaxer son fessier droit. A peine une micro-seconde fut écoulée que la réaction de sa compagnie fut sans vergogne. Elle lui mit un coup de genou magistral dans les parties délicates masculines, et, sous le coup de la douleur, Rahinov laissa tomber sa bouteille. Il la rattrapa in extremis en la coinçant entre son bout de pied et son tibia, la reprit de sa main droite, la gauche étant posé sur les bijoux pour calmer la douleur, et revint en face de la demoiselle, en gémissant à moitié, avec un regard surpris. " Z'êtes pas une pute ? "

Là encore, Rahinov l'avait ouvertement cherché. La deuxième sentence, un poing directement sur le visage, arriva aussi vite que la première, mais celle-ci était plus sèche, moins forte, comme pour montrer un signe de vexation. La première punition, en revanche, l'Orzhov en gardait des séquelles. Un coup de genou souple et ample, puissant et rapide, bref, quelque chose qui fait mal. " C'est un non ? " Cette fois, il évita la claque, car il s'y était préparé. Une petite pique, histoire de la relancer une troisième fois pour une claque, ça ne pouvait que l'amuser, celui-là.

" Faut pas vous vexer mam'zelle ! A c't'heure, les seuls qui parcourent les quais sont les bourrés, les putes, les putes bourrées, et les bourrés, ou sobres, d'ailleurs, cherchant des putes. Jsuis plutôt bourré, et z'êtes pas trop mal foutue, donc, comme z'êtes pas un bourré, ha ça non, dans ma ptite tête, z'étiez une pute. D'solé. " Il riait de lui-même intérieurement, cette petite comédie l'amusait, mais il continuait de s'investir à fond dans son rôle. " Whisky, ma jolie ? " lança t'il à la jeune femme qui déclina. Il en rebut alors quelques gorgée.

Et tout en marchant, Rahinov eut une idée pour égayer sa soirée. Une idée farfelue, mais proche d'un génie de l'amusement. "Vous connaissez un peu les Orzhovs ma ptite dame ? Surement qu'non, vous d'vez vous en foutre ... Eh ben pas moi ! " L'amertume se sentait dans ses paroles, il repiqua une lampée de sa bouteille, et poursuivit " J'en veux spécialement à un Orzhov en particulier ... Il s'appelle Rahinov Eliav, c'est le chef pontife, et c'est à cause de lui si j'en suis là ... ce fils de chien ! " Cracha t'il. " Si vous vous en foutez pas, vous vous y connaissez, en Rahinov ? " Il ravala une grande gorgée de whisky.

Elryann, d'une patience exquise, pour ne pas dire angélique, retroussa ses manches, dans l'optique de gratifier l'impudent d'un second direct énergique. Quelque chose lui disait qu'il se jouait d'elle, ce qui n'était pas pour l'inciter à la clémence. Cependant, magnanime, elle le laissa achever sa phrase - ceci étant fait, elle eut un sursaut, et détailla l'inconnu avec minutie.

* Lorsqu'on exhibe des sculptures de son buste dans les Quartiers Orzhovs, il ne faut pas s'étonner qu'on soit à même d'identifier les trois Pontifes. D'ailleurs, si je me souviens bien, Rahinov Eliav a une réputation déplorable de soudard...Comme de fait. *

- Oui, je veux bien croire qu'il vous cause du tort, on dit le plus grand mal de cet homme...

Malicieuse, et constatant qu'il s'était visiblement calmé dans ses velléités de tripotage, elle se lança avec délices dans la provocation. Cet homme se fichait d'elle; il maîtrisait à merveille son rôle d'ivrogne, mais Elryann avait la conviction qu'il était loin d'être aussi stupide et éméché que la teneur de ses propos pouvait l'indiquer. Non, le pontife - si c'était bien lui - ne se doutait pas qu'elle était issue d'une famille Orzhov, et cherchait manifestement un divertissement pour la soirée. Pourquoi pas ?

- Ma chère loque humaine, sachez que rôdent à ces heures tardives des femmes qui n'ont qu'une envie, qu'un désir, qu'un rêve : castrer au moins trois hommes avant l'aube, ajouta-t-elle sur un ton aimable. Et pour répondre à votre question, ce que je sais du Pontife n'est guère reluisant. Il paraît qu'il est fat, grossier, incompétent, de basse extraction, parvenu, avare, qu'il est très laid et que sa musculature est fausse et n'est constituée que d'un plastron magique, qui libère un ventre gélatineux dès qu'il l'ôte.

Pour faire bonne mesure, la Sans-guilde esquissa une petite moue de dégoût, et lissa les plis de sa jupe. Pas rancunière, et considérant que c'était une juste compensation pour tout ce qu'elle allait lui faire subir, elle entreprit une nouvelle séance de fouilles archéologiques dans les profondeurs de son sac, et lui tendit une sucette.

- C'est drôle, enchaîna-t-elle, j'ai toujours cru que l'organisme humain comportait énormément d'eau, mais le discret "glou-glou" qui émane de votre boîte crânienne indique clairement que celle-ci est contenue, à l'état pur, dans la cavité censée contenir votre cerveau. La nature est fascinante, n'est-ce pas ? A la réflexion, c'était peut-être du whisky.

Elle posa un poing décidé sur ses hanches, et fixa le grossier personnage. Elle fronça les sourcils, ébouriffa ses cheveux, et poursuivit. Ils marchaient côte à côte en longeant les quais déserts, formant un improbable duo.

- Et si vous cessiez de faire l'imbécile pour me parler normalement ? J'ai vu assez de piliers de bars pour reconnaître les simulateurs : vous êtes un alcoolique de si longue date que les effets de la boisson vous indiffèrent.

" Si vous saviez toute les raisons qui me poussent à reprendre une gorgée d'alcool ..." Et il en reprit une, avant de poursuivre " Vous serez en train de vous dire que votre vie est la meilleure possible. J'ai tout perdu à cause de Rahinov ... La seule chose que ce rat m'ait apporté, c'est une raison de vivre. La justice. La vengeance. Grâce à lui, ce sont maintenant ces choses qui m'animent. "

Il continua de boire à grands traits, sans s'arrêter. Il aimait ça, le whisky. Un de ses alcool préféré car il avait du goût, et pas qu'un goût d'alcool. Il sentait le malt dans chacune de ses gorgées. " Mon alcoolisme ne regarde que moi. Pas vous. Ne soyez pas plus désagréable que vous ne l'êtes déjà envers moi. "

La douce brise de la nuit lui bien, lui caressant le visage par un air frais et doux, une senteur marine, et un ciel étoilé. Alors, pourquoi sous ce cadre idéal, se sentai-il si mal ? Pourquoi avait-il une sensation d'inachevé ? Il n'en savait rien, mais pour l'heure, il devait donner la fessée à une petite bien sûre d'elle.

" Me castrer dites-vous ? Je vous trouve bien arrogante, ma jolie. Vous pouvez essayer, mais j'espère que vous savez nager. L'eau des quais est excellente pour le soin de la peau, à ce qu'on dit ...

Alors ne dites pas n'importe quoi. J'ai déjà suffisamment de raison d'être en colère, je n'aimerai pas que vous en deveniez une de plus. " termina t'il, avec un regard totalement neutre. Il savait ce qu'il disait. Il savait aussi qu'il n'avait rien à craindre de cette fillette. Alors il décida de jouer une autre carte ... Il réalisa qu'il avait provoqué la jeune femme et avant de pouvoir s'excuser, se confondit dans des espèces de bafouillages verbaux, qui l'empêchaient de s'exprimer correctement. Mais il se ressaisit, et baissa un peu la tête en parlant à la demoiselle.

" Pardonnez mon impolitesse et mon impétuosité je vous prie. Ce chien de Rahinov me hante depuis qu'il m'a tout pris, c'en est une obsession ... Je palabre, je palabre, je suis mesquin, j'ai le sang chaud, et je ne daigne même pas me présentez en compagnie d'une dame. Liebsk, madame, Gustav Liebsk. Et vous ? " fit-il, tout en continuant de déguster son whisky qui était désormais vide. Il jeta alors la bouteille pour en ressortir illico une autre de sa besace, qu'il ouvrit, et entama à grand soif.

" Madame " reprit-il, alors qu'il continuait de boire à grand traits son whisky. " Je ne sais quelles sont vos réelles intentions, mais si vous comptez me faire perdre mon temps, je préfère le faire sans vous. Après, si, pour une fois, vous me parliez sincèrement, je serai ravi de vous côtoyer plus longtemps, mais plus de mensonges éhontés, ainsi que de qualificatifs désobligeants, s'il vous plait. " Termina t'il avec un sourire ironique, car on venait de se moquer ouvertement de lui suffisamment de fois. " Même si je vous ai dit que je ne connaissais pas particulièrement Rahinov, j'ai quand même ouï dire par des esclaves orzhovs qu'il n'avait rien des pontifes précédents. Il a une carrure largement plus normale que ses prédécesseurs et il a une réputation de coureur de jupons et d'amoureux de l'alcool, même si ce genre d'informations ne m'est pas vraiment utile, car j'aurais plus aimé savoir où le trouver ... Mais je n'ai aucune idée de l'endroit où il peut être, alors, je pars de l'hypothèse qu'il fréquente des bars louches dans des quartiers chauds. Je les écume tous alors, à sa recherche, mais avec le temps, j'ai fini par trouver ma quête vaine, et mes chances minces. Et comme j'étais habitué à traîner dans ce genre d'endroit peu recommandable, je me suis vite laissé aller aux plaisirs simples. Alcool, femmes ... "

Il marqua un temps de pause. Il se demandait ce que cette voulait réellement. L'aurait-elle reconnu ? Impossible, physiquement, il avait toujours été très discret. Son image était secrète, car sinon, il serait la proie d'assassins de bas étages se ruant sur une cible célèbre et facile, au visage découvert. Et il n'avait pas que ça à faire. Réduire en miettes des prétentieux sans envergure était, certes, l'un de ses passe-temps favoris, mais un pontife à d'autre choses à faire que de donner la fessées à des amateurs. Elle n'avait pas l'air d'une assassine, c'en était sur, car elle aurait eu dix fois l'occasion d'attaquer - et donc dix fois l'occasion de se prendre la fessée. Alors que voulait-elle ? Que cherchait-elle à faire ? Il n'en savait rien. Et ça l'agaçait intérieurement, d'ailleurs.

" Vous voulez savoir ce qu'il m'a fait ? Il m'a ôté tout ce que j'avais. Amis, parents, avenir ... Ha, et il m'a aussi tué, et croyez moi, vous ne voulez pas savoir comment c'est possible que je soit de retour parmi les vivants. Cela, je le dois à un ami qui ne m'a pas laissé tomber, malgré les actions de Rahinov. ... " Il eu un rictus de dégoût. " Comprenez Madame que je ne veuille point parler davantage de ce qu'il m'a fait subir. J'ai suffisamment dégusté pour ne pas avoir envie d'en reparler. Mais grâce à ça, j'ai pu m'entraîner, devenir fort, afin de le combattre. C'est la seule chose pour laquelle je lui suis redevable. Mais sinon ... Zéro pitié, Zéro compassion. Juste la vengeance ... " Termina t'il, dans un léger tremblement général, tellement tout ses muscles étaient contractés.

*Gobe ce baratin ma jolie, tu n'en seras que plus candide ...*

Elryann écouta les revendications rancunières du prétendu Gustav d'une oreille distraite mais cependant amusée; ce n'était pas la première fois, dans ces Quartiers, qu'elle croisait des êtres rongés par la colère, maugréant auprès de qui voulait l'entendre que les Guildes leur avait tout fait perdre. Elle aurait éprouvé beaucoup de compassion pour eux si leur principale consolation ne résidait pas dans le tourment qu'ils causaient à autrui, et la boisson forcenée.
En l'occurrence, un homme au prénom qui sonnait Orzhov (si'l en était, il ne devait pas être d'une grande importance puisque le nom de Liebsk lui était inconnu) racontait à la première inconnue qu'il souhaitait assassiner le pontife. Il n'avait donc rien d'un professionnel, et Elryann aurait songé à l'hypothèse du pauvre diable désespéré si elle n'avait pas noté les quelques détails - alcool onéreux, entraînement physique de qualité, facilités à s'exprimer....S'il était un notable à qui l'on avait tout pris, comment expliquer l'étrange changement de comportement qu'il avait manifesté, comme s'il se moquait d'elle, et que l'alcool n'avait sur lui qu'une emprise modifiable à souhait ?
Dernière solution, il était un menteur.
Cependant, menteur ou pas, pontife ou mendiant, elle s'était vengée de l'affront verbal et pouvait désormais renouer avec le registre civilisé. Elle s'aligna donc sur la toute nouvelle et hypocrite courtoisie de l'individu pour lui répondre.

- Il est vrai qu'il est fort difficile d'arpenter les tavernes à la tombée de la nuit sans sombrer dans les excès les plus vils. Je vous rejoins sur un autre point, les Orzhov sont une engeance déplaisante - pardonnez-moi si vous en étiez. Si je puis me permettre - Elryann posa sur Gustav un regard à la fois maternel et réprobateur - vous devriez cesser d'engloutir ce poison, vous allez vous trouver mal et je serai obligée de vous remorquer jusqu'à l'auberge la plus proche. Ce qui, considérant votre carrure et la mienne, me serait très pénible.

Dans cette perspective peu réjouissante, Elryann, protectrice, se saisit de la bouteille que tenait fermement Gustav. Devant la légère résistance, elle fronça les sourcils d'un air de reproche, et lui donna une petite tape sur la main, ce qui n'était pas sans rappeler la punition réservée aux chatons insolents. Il ne miaula pas, et lui abandonna la bouteille. Elryann, remarquant l'absence de bouchon, coinça la bouteille entre deux livres et une fiole dorée afin que le contenu ne se répande pas dans sa précieuse sacoche. Dans l'idée de rétablir la même ambiance douce et tranquille qui régnait sur les quais lorsqu'elle y était parvenue, elle décida de fuir les hostilités qui, pourtant, étaient tentantes.

- Si vous voulez une sucette, prenez (Elle joignit le geste à la parole en lui tendant une sucette rose foncée) et n'ayez crainte pour votre bouteille, je vous rendrai ça lorsque nous nous quitterons, supposant que, si vous avez fait les présentations, vous comptez profiter de ma compagnie un moment. Vous ne voulez pas ôter cette capuche ? C'est peut-être fantaisiste, mais j'aime voir les yeux de mes interlocuteurs.

Ils arrivaient près d'un banc, sur lequel ils se juchèrent. Elryann fouilla, en attendant la réponse de l'individu, dans sa sacoche, à la recherche de ses feux d'artifices miniatures de fabrication Izzet. Elle les tendit à Gustav avec un sourire, des fois que ça l'amuse.

- Ah, et au fait, je m'appelle Elryann. Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas rancunière.

Il eu un tintement de résonance dans la tête ... Elryann, Elryann .... Ce nom lui disait quelque chose, il l'avait déjà entendu ... Oui ! Une étudiante brillante qui renia tout, de sa famille jusqu'à sa guilde ! Il n'en savait, malheureusement pas plus, mais cette histoire avait fait péter un petit scandale dans l'école de magie, et comme à tout les autres dirigeants, cette affaire était remontée jusqu'à ses oreilles ... même si il n'en avait pas accordé une grande importance, elle était restée dans un coin de son esprit. Il regarda Elryann de haut en bas - ce qui ne prit longtemps - et se demanda clairement pourquoi ils n'avaient pas d'aussi jolis morceaux à Orzhova. Il se dit alors que révéler son identité ne serait pas une mauvaise chose, finalement, et qu'il pourrait encore passer du temps à s'amuser. Oui, ce soir, Rahinov était joueur. Il laissa donc tomber son grand manteau gris à capuche pour dévoiler une personne à la carrure fort convenable, d'un bon mètre quatre-vingt, les cheveux blancs, décolorés par ses années en stase, vêtue d'un grand manteau noir muni d'un grand col, d'un vêtement intérieur de la même couleur, muni d'un léger plastron, quelques plaques d'armures ça et là venaient donner un côté gris luisant au personnage, et un pantalon toujours dans la couleur de la nuit, ainsi que des bottes à lanières, noires, elles aussi. Son teint pâle l'était encore plus, en opposition à la couleur de ses vêtements, et ses yeux bleus laissaient penser qu'il fut brun pendant un temps, le blond semblait une hypothèse beaucoup moins valable, en effet, le blond sur le pontife n'aurait absolument pas été esthétique. Le brun était donc la couleur de cheveux qui venait immédiatement dans les esprits. Et en définitive, l'Orzhov n'en avait aucune idée : il fut enfermé bien trop jeune pour se souvenir de sa couleur de cheveux d'antan. Toute son enfance, il la passa dans une stase, alors ce genre de mémoire lui était inconnu. Pour lui, il a toujours eux les cheveux blancs.

" Je dois vous avouer que je n'ai pas été très honnête avec vous ... Je suis Rahinov Eliav. " Elryann se murmura un 'jle savais' alors que le pontife, entendant cela, eu un petit sourire d'auto-dérision " Bien des surnoms m'ont été attribués comme Rahinov, le sombre, Rahinov, le pontife unique, ou bien Rahinov, l'indépendant ... Mais je préférerais que vous en restiez à Rahinov. "

Il n'avait effectivement pas joué franc jeu avec la demoiselle, même si celle-ci semblait soupçonner l'identité réelle de son interlocuteur depuis le début, alors à quoi bon ... Il n'avait finalement rien à se reprocher, la demoiselle ayant été suffisamment emplie de jugeote pour démêler le vrai du faux. Restait à savoir si elle savait que le pontife avant entendu parler d'elle ... ça, Rahinov en doutait fortement, sinon, elle ne serait pas restée en compagnie de quelqu'un qu'elle soupçonnait être le pontife unique des Orzhovs. C'était trop dangereux, elle ne connaissait pas le pontife. Il aurait très bien pu la faire chanter en usant de cet argument ... la faire chanter ? En voilà une idée, et qu'elle est bonne ! ... Et puis non. Ce serait inutile, ce serait sans profits, ce serait juste jouer avec une pauvre fille qui a échappé à un système oppressant qu'est le syndicat, et il comprenait ça. Lui, dans les hautes sphères du pouvoir, ne sentait pas cette pression constante, mais elle a du la subir, et fortement. Non, il allait abonder dans son sens. Il allait être bon, pour une fois.

" Une engeance déplorable, les orzhovs, vous dites ? Vous êtes bizarre Elryann, vous vous considérez comme une engeance déplorable de par ces propos ... Oui, je connais votre histoire, mais dans les grandes lignes. Une fugue de l'école de magie qui a fait un scandale beaucoup plus important qu'il ne l'était en réalité.

C'est marrant. Des gens comme vous, qui ne veulent pas rentrer dans le moule, et qui veulent goûter à la liberté, j'en vois des dizaines par jour. Le problème, c'est qu'en étant libre, tellement de possibilités s'offrent à vous qu'au final, vous ne faites rien. Mais je suppose que je fais erreur ... Vous n'avez pas à me redouter, ou quoi que ce soit. Je respecte votre choix, je n'irais pas vous ramener chez nous. Cela ne me serait guère utile, et à vous non plus. " termina t'il

" Et rassurez-vous, mon plastron n'est pas magique et ne dissimule pas un ventre gélatineux, si la question subsistait encore. Et j'aime les femmes " lança t'il en envoyant un clin d'oeil à sa compagnie, prenant la sucette offerte, et commençant à allumer une fusée avec son briquet. La fusée à peine enflammée, il se sortit un cigare qu'il alluma aussitôt. " J'ai bon nombre de vice, et vous ne m'ôterez pas celui-ci. "Fit-il, un sourire au lèvres.

Elryann tenta de réfréner le rougissement handicapant qui l'atteignait, en même temps qu'une vague de jubilation : elle avait insulté l'unique Pontife des Orzhov puis partagé une sucette avec lui. Le monde était fou. Un doute naquit dans son esprit : son imprudence allait-elle lui coûter sa liberté ?
Elle se souvint de sa mère, toujours cassante, toujours absente; de son père, l'opportuniste et florissant commerçant...L'embonpoint épanoui, les joues rasées de près, le regard affûté. De ses professeurs, également; la rachitique enseignante qui ne cachait pas son horreur face aux réformes orchestrées par le nouveau pontife, qui explosait les doigts d'Elryann d'une baguette métallique lorsque celle-ci était prise de frissons en manipulant le nécromana...Petite, elle avait de tout coeur voulu maîtriser le nécromana avec la même dextérité que le biomana. Elle avait forcé, et s'était retrouvée errant dans la propriété familiale, les bras crispés contre son estomac nauséeux, pâle comme la mort qu'elle croyait côtoyer en invoquant ce mana.
Elle était sortie dans la nuit...Elle aimait l'obscurité, la fraîcheur de l'herbe, les échos lointains, et la peur. Elle avait toujours aimé avoir peur, naturellement difficilement impressionnable. Peut-être était-ce pour ça qu'Ejö l'avait trouvée, lui offrant une liberté enrobée d'acide ?
Son angoisse retomba lorsque Rahinov prétendit n'avoir pas l'intention de la remettre à sa Guilde abhorrée. Elryann cessa donc toute conjectures et babillages internes pour dévisager le pontife.

* Aha. Flasque et efféminé, bien sûr. C'est mon plus beau mensonge de la soirée. *

Sa chevelure blanche était frappante, mais pas déplaisante : elle accentuait les traits du pontife, lui conférant un certain charisme qu'Elryann apprécia à sa juste valeur. Son rosissement s'estompa définitivement lorsqu'elle fut certaine de n'être exposée à aucun risque. Cela dit, elle réalisa, avec une certaine ironie, qu'elle avait menacé le Pontife comme si elle pouvait représenter un quelconque danger pour lui. Une loutre bigleuse armée d'un pissenlit devait avoir l'air plus intimidante ! La loutre en question n'était guère bigleuse et observa sans gêne aucune les clavicules de Rahinov, lesquelles présentaient un charme certain. Fort bien. La conversation, si elle n'était pas agréable, offrirait au moins un divertissement. La sobriété allait aussi bien au Pontife que son plastron. L'attraction que Rahinov exerçait sur Elryann n'avait rien à voir avec son titre, mais s'attachait à tout ce qui la ravissait : le verbe, l'humour et la connaissance. Bon, et le torse aussi.

- Moi aussi, j'aime les hommes. Tare mal considérée en notre temps, c'est bien dommage. Quand au ventre gélatineux, je suis une personne terre à terre, il faudra me prouver que je fais erreur. Et détrompez-vous, je suis à peu près aussi inactive qu'un Izzet hystérique, si vous étiez au courant de...Hm, non, en fait, mieux vaut qu'un pontife ignore ce genre de détails, oubliez ce que je viens de dire.

Elryann adressa un sourire espiègle à Rahinov, et regarda avec un petit air fasciné les feux d'artifices fuser, crépiter et s'éteindre doucement dans l'air du soir.

- Alors, les charmes du Quartier Neutres ont-ils agité leurs tentacules visqueuses au point de vous faire prendre goût à la crasse de ses bas-fonds ?

La Sans-guilde, à cet instant précis, se demanda très sérieusement si elle allait faire subir les pires outrages au pontife ou se retenir comme la personne distinguée qu'elle était. Dilemme. Elle stoppa ses velléités câlines, sachant fort bien comment se comportaient les hommes du rang de Rahinov : comme des goujats pédants.

" Nous sommes tous comme les feux d'artifice. Notre vie en est un. Nous montons, nous montons, Puis, nous nous épanouissons pleinement lorsque nous sommes au zénith de notre gloire, avant de tomber, en nous éteignant, alors que le monde oublie notre existence ... " lança l'Orzhov dans le calme ambiant, troublé uniquement par les crépitements des feux d'artifice. Il reprit une bouffée de son cigare, non sans en apprécier chaque arôme délicat de tabac et d'autres senteurs exotiques.

La nostalgie le gagnait alors que la nuit suivait son cours. Il sentait la femme le dévisager, mais cela ne le gêna point, au contraire, ça l'apaisait. Personne ne l'avait regardé comme ça depuis Saphya, et cette sensation était on ne peut plus agréable. La sensation d'une attraction, d'un désir, c'est le plus enivrant des sentiment. Le pontife était bercé dans d'enivrantes nuées chaleureuses qui enveloppait son corps et son esprit. Pendant un temps, il oublia son existence même, se consacrant uniquement à apprécier ce nuage cotonneux et chaud qu'Elryann venait de lui apporter inconsciemment. Puis il se réveilla, rouvrit les yeux qu'il avait fermé sans s'en rendre compte, et retourna, non sans une légère déception, à la réalité. Un instant fugace de bonheur ultime lui avait été offert. Plutôt que de ses morfondre et de se plaindre de n'en avoir pas eu assez, il se contenta de graver ce souvenir chaleureux dans sa mémoire, afin que ce dernier soit placé au panthéon des plaisir d'un pontife.

" Les tentacules des charmes de ce quartier ne m'ont absolument rien fait. En revanche, j'ai pu goûter à leur souffle chaud et enivrant, et leur caresse soyeuse sur mon âme n'ont fait que m'apaiser. Je croyais ce genre de sentiment perdu, mais grâce à vous, je commence à renouer des liens trop longtemps rompus. " susurra le pontife, comme si parler un tantinet plus fort aurait été, à ses yeux, un affront envers les entités qui ont permis à cet instant de pur confort et de pur bonheur de devenir, l'espace d'un instant, possible. Il se sentait bien, il avait oublié tout ses tracas de sa vie monotone et écrasante. C'est en quête de ce genre de sentiments surréalistes que le pontife arpente les quartiers chauds de la cité-monde, mais ce qu'il en avait récolté se résumait à des femmes aux formes généreuses qui gobaient sa proéminence issue de son chromosome Y. Relaxant, oui, au début, et puis rapidement sans saveur. Sans tension. Sans aucun battements de coeur qui s'accélèrent soudainement pour enfin se ralentir ... Rien de tout ça.

" Elryann ... Je me suis mal exprimé tout à l'heure. Je n'aime pas les femmes. J'aime celles qui me font vibrer si intensément que, pour une fois, j'ai l'impression de perdre totalement le contrôle de ce que je fais ... Ce genre de vibration, presque aucune femme ne me l'a apporté ... " dit-il, toujours avec le même ton, car dans le cas contraire, il pourrait risquer de briser sa quiétude intérieure, et il ne le voulait surtout pas.

*Mais qu'est-ce que je dis, moi ? Hého, c'est moi, ton cerveau ! Tu me reçois Rahinov ? Abruti, va ! Arrête-toi, tu es d'une niaiserie, c'est affligeant ...*

" Parlez moi un peu de vous. Vous partez avec un avantage sur moi. Je ne connais que très peu de choses sur vous, à part que vous êtes une femme pleine de ressources. Si j'étais au courant de quoi ? Pourquoi vaudrait-il mieux qu'un pontife ignore ces détails ? Me considériez-vous comme ces anciens pontifes, opulents, tape-à-l'oeil, et par dessus tout, s'étouffant dans leur propre graisse ? Dites-moi, je suis curieux ... " termina t'il, dans une voix calme, en reprenant une bouffée de son cigare. Son véritable retour à la réalité était lancé, et Rahinov était arrivé au stade de l'acceptation.

Elryann, un peu étourdie par les volutes de fumées qu'exhalait, entêtant, le cigare du pontife, se laissa aller aux divagations. Les fuseaux de lumière multicolore évoquaient de minuscules poissons combattant qui filaient à travers l'obscurité comme dans dans leur fosse sous-marine natale, l'éclairant brièvement avant de se fondre dans les eaux...
Ou bien des feux-follets éplorés, dont la mort imminente faisait battre les coeurs en pulsations hystériques, semant leurs étincelles déjà mortes, petits bouts de terreur.
Absorbée par cette image aussi délicate que morbide, elle était bercée par les paroles de Rahinov, qu'elle écoutait tout en rêvant. Alors comme ça, même les pontifes étaient claustrophobes...Cette nouvelle avait quelque chose de réconfortant, et la rassurait dans son acception de la condition humaine. Tout libres et puissants sommes-nous, on n'échappe pas à cette écrasante solitude qui comprime le ventre dès qu'on s'arrête de bouger.
Les pensées d'Elryann dérivaient dangereusement vers le coup de blues, transformant l'apaisement en pression latente. Est-on toujours seul au milieu d'une foule ? Est-ce que l'intangible voile qui nous sépare d'autrui peut être déchiré, ne serait-ce qu'un peu ?
Elle ressentit une bouffée d'empathie pour Rahinov Eliav, qui devait, comme elle, connaître l'étreinte matinale de l'angoisse, ce bref suffoquement, qui interroge "Que fais-tu de ta vie ?". Personne n'est en paix avec le miroir...

* Surtout avec la gueule du matin que tu te traînes ! Quelqu'un pourrait arrêter ce ridicule fond sonore, celui avec les guitares nostalgiques qui se mêlent dans un style néo-baroque ? Si tu continue à patauger dans la mélancolie, je te renie. Il y a quelqu'un d'intéressant à côté, réveille-toi ! *

Rappelée à l'ordre par son impitoyable conscience, Elryann cligna des yeux, et put répondre à la question du pontife avec un merveilleux timing. Elle leva vers lui des yeux un peu surpris par l'intérêt qu'il lui portait, et haussa les épaules.

- J'imagine que ça ne sera qu'une sottise de plus dans la soirée...D'aucuns trouveraient stupides de se confier à un force coercitive - je parle de vous. Mais bon, le besoin de communication ayant également des pouvoirs de coercition. Comme une terrine de sanglier.

Désireuse de se dégourdir les pattes, elle descendit de son perchoir et se tint debout, face au pontife, s'ébouriffa les cheveux et posa un poing sur sa hanche, l'autre servant aux gestes expressifs qui accompagnaient toujours ses discours.

- Je ne vous considère pas. Enfin, j'veux dire, je n'ai pas d'idée précise sur vous; à dire vrai, j'ai surtout entendu ma famille pester sur les nouveautés que vous avez induites. Quand à votre réputation, j'ai menti sournoisement il y a quelques minutes; je la connais mais je m'en lustre l'asperge. Quand à être pleine de ressource...Si je vous disais que j'ai des démêlés avec un Rakdos influent, un Boros très en colère et d'autres guildes persuadées que je suis complice des agissements d'un ancien Gruul ? Cela dit, j'étais sur le point d'être embauchée en tant qu'assistante de Foenix Ket'osarc. Je ne suis pas incompétente...J'ai certaines dispositions magiques et martiales. Je ne m'ennuie pas.

Elryann eut un petit rire intérieur. Oui, c'était le moins qu'on puisse dire. Elle contempla avec intérêt les épaules et le visage de Raninov.

- Vous avez de charmantes clavicules.

" Foenix Ket'osarc ? Intéressant. Un brillant Orzhov, bon commerçant de son état. Vous ne vous acoquinez pas avec n'importe qui, dites moi ! Et en plus de ça, un Rakdos et un Boros ? Vous a-t-on déjà dit qu'il ne fallait pas jouer avec le feu ? Les Boros sont jaloux, et rancuniers, alors que les Rakdos sont des fous de la torture. Du moins, j'ai croisé plusieurs Rakdos et Boros dans mes expéditions, et c'est ce que j'en ai ressorti. Le seul point commun des Boros et des Rakdos, c'est qu'il sont belliqueux. Du à l'influence du pyromana, sans aucun doute ... Vous en émanez, vous aussi ..." Rahinov, tout en parlant, se leva, stoppa ses dires, pris une bouffé de son cigare, en prenant soin de la renvoyer ailleurs, car Elryann ne devait pas être une fumeuse, sinon, elle aurait vite réclamé un cigare elle aussi, ou au moins une inspiration dessus. Il dévisagea la demoiselle, comme elle l'avait fait précédemment. Jolie, au premier abord, l'impression ce confirmait au fur et à mesure qu'il descendait son regard le long de son corps. il avait un bien meilleur angle de vue que lorsqu'il était assis, et cela n'était pas pour le déplaire. Alors qu'il continuait son discours, comme il l'avait fait en regardant avec attention chacune des formes d'Elryann, il s'approcha d'elle " êtes vous belliqueuse ? " lui chuchota t'il doucement.

" Question stupide. Vous avez le tempérament d'une belliqueuse. Enfin, d'une battante, plutôt. " fit-il en reprenant une bouffée de son cigare. Elle était de plus en plus intrigante, à fricoter avec plusieurs guildes à la fois, sans jamais en faire partie. A quoi jouait-elle ? Avait-elle compris que ça n'avait rien d'un jeu que de papillonner auprès de guildes, surtout de cette manière là ? En était-elle consciente ? Pas sur.

Néanmoins, le pontife avait pitié de la demoiselle. Elle ne semblait vraiment pas réaliser que Ravnica est une jungle, et ce n'est en aucun cas un plateau de jeu. Épris de l'air innocent qu'avait Elryann, même si elle essayait de paraître tout le contraire.
" Vous me semblez ne pas avoir d'endroit fixe où loger. Permettez-moi de vous proposer de devenir vôtre hôte, tant que vous le souhaitez. Vous vous dites martiale, avec des aptitudes à la magie. Je veux bien vous apprendre ce que je sais sur la magie. J'ai une approche de ce sujet extrêmement différente de tout ce que pourrez trouver sur ce plan, grâce à mon mentor. Et puis, on pourrait s'entraider. " dit-il, tranquillement, à la sans-guilde. Il avait quelques projets pour elle. Il en avait pour beaucoup de monde, d'ailleurs. " Et puis, vos parents ont visiblement pesté contre moi et mes réformes, et vous avez fui ces mêmes parents. Nous devrions donc bien nous entendre, non ? "

" Il est pourtant clair que je n'ai rien de commun avec la plupart des personnes haut placées. Je n'ai rien à prouver, et je n'ai pas ce complexe de supériorité qui anime mes semblables. Je sais ce que je vaut, ni plus, ni moins. Je ne suis pas un pontife ordinaire, ne l'oubliez pas.

Je sais aussi que vous cherchez toutes les raisons qui pourraient vous pousser à refuser ma proposition. C'est dans votre nature, grand bien vous fasse. Mais je n'aime pas les personnes qui se font désirer. Ce que je vous propose est honorable, et ce n'est pas parce que vous êtes dans le besoin, car vous n'en avez pas l'air. Juste que nous pourrions nous aider mutuellement. Voire plus si affinités ... "

Il avait prononcé cette phrase par pure provocation, même si elle paraissait sincère, cette phrase. Il comptait juste voir la réaction de la dame à ses dires. Et il s'en amusait intérieurement d'avance. Un rire difficile à laisser en soi, mais il se refusait de le montrer, par décence envers son interlocutrice. Il avait des projets, de grands projets, et Elryann en faisait partie. Elle semblait ne pas mentir, et vanter des talents forts utiles dans un groupe. Si l'on comptait tout ceux que le pontife espérait voir rejoindre sa communauté - dont personne ne serait le dirigeant, d'ailleurs - il y avait son ami Markus, un mage nécromant doué, surtout avec les esprit, Anya, une bonne nécromante des cadavres, Silviel, une chanteresse qui pouvait s'avérer utile pour le soutien magique, notamment pour soigner, et lui même, mage de combat spécialisé sur la mi-distance, et capable de se défendre au corps à corps. Elryann rajoutait un côté combatif au groupe, mais il lui manquait un, voir deux, "cogneurs", c'est à dire des muscles, pour combattre de front. Il espérait d'ailleurs que celle qui lui tenait compagnie connaîtrait des personnes qui n'ont pas froid au yeux, et qui ont la carrure pour endosser les combats au corps à corps. Les gruul regorgent d'archétypes de ce genre, mais ils sont relativement fermés entre eux. Reste les Rakdos, mais Rahinov se refusait complètement de faire équipe avec un Rakdos ... et encore moins un Boros ! Pourquoi pas un paladin Azorius ? Cela serait étonnant. Ils sont tellement stoïques que Prahv pourrait s'effondrer qu'ils ne réagiraient pas. Non, la solution, c'était de trouver des gruul. Les seuls, à priori, qui seraient en mesure de se joindre à eux, et de pouvoir assurer ce rôle de "cogneur". Mais ça posait problème. Rahinov connaissait trop de mage, et presque aucun guerrier ... Chose qu'il fallait changer.

Mais chaque chose en son temps. Primo, mettre Elryann en confiance. Lui faire comprendre qu'elle n'est pas complètement inutile, mais aussi qu'elle n'est pas la providence que cherchait le pontife. Il lui tint ces mots.

" Dame. Si je vous dis qu'il risque de se passer de grandes choses d'ici peu, des choses suffisamment grandes pour intéresser des gens comme moi, et qu'en m'accompagnant, vous y participerez activement, que dites vous ? Je ne veux pas que vous me rejoignez à tout prix, car il existe bien des personnes qui détiennent des compétences similaires aux vôtres. Mais si j'insiste à ce point, c'est que j'ai senti en vous une espèce d'étincelle, la même qui brille dans le coin de l'oeil, rendant le regard beaucoup plus intelligent. Vous êtes quelqu'un de très spécial, car vous m'avez rappelé des choses enfouies en moi, comme par exemple, cette insatisfaction constante que j'éprouve, bien qu'enchaînant les conquêtes d'un soir ... " Il soupira à ces mots. Finalement, même les bonnes choses avaient une fin. Il reprit néanmoins.

" Je vous offre une vie bien meilleure, sans vous ôter la liberté que vous détenez. Vous l'avez, vous la méritez. Vous parliez de curiosité, non ? Je vous promets de vous faire voir des choses plutôt exceptionnelles ... "

Rahinov sourit, et tendit la main, comme s'il attendait qu'Elryann la serre, et rajouta : " Je vous préviens. Ma demeure est très loin du luxe que vous devez vous imaginer en pensant à la demeure d'un pontife. J'aime les choses simples, pures, mais belles. Et cela est vrai pour tout ... "

Elryann avait la franche impression d'être embarquée dans une histoire qui la dépassait légèrement, mais décida de passer outre ce désagréable sentiment. Cependant, en dépit de cette volonté, son inquiétude s'épaissit, tourbillonnant dans son crâne comme une masse nuageuse. Cherchait-on à l'enrôler ? Cette proposition d'hébergement relevait-elle d'un chantage déguisé ? S'il était réellement différent de ses prédécesseurs, il allait devoir le prouver : elle était toute disposée à rendre des services en échange de ceux du pontife, mais pas à devenir une mercenaire aveuglée par sa dette. Diplomate, l'ex-Orzhov traduit ses tergiversations houleuses de la manière la plus pratique possible.

- Détrompez-vous, je ne suis pas à la recherche d'arguments pour décliner votre proposition : je cherchais uniquement à vous protéger d'un certains nombres de risques, notamment celui de voir votre demeure envahie par les fleurs. Oui, j'aime bien les fleurs, donc ce n'est pas négociable. J'ai simplement eu la sottise, vous confondant effectivement avec vos fourbes collègues, de penser que vous me contraindriez à d'autres devoirs que ceux que la courtoisie d'une hôte m'impose, en tant que votre obligée, et réclameriez une contrepartie non-mentionnée en échange de votre amabilité. Sottise, en effet.

* Tiens, c'était pas à double sens, ça ? Erf.... *

- Tout ce que je viens de dire étant, naturellement, relatif aux compétences que vous dites rechercher. Euh. Enfin, à propos des grandes choses que... (Elryann avait la très nette impression de s'emmêler les pinceaux..) ...Et des gens qui pourraient se joindre à nous...

Elryann, consternée par l'étendue du possible quiproquo, s'empourpra et jugea préférable de s'interrompre. Elle considéra la main tendue de Rahinov comme s'il s'agissait d'une tentacule sournoise, et avec une inspiration qui exprimait tout son fatalisme, elle leva la sienne juste au-dessus du membre...Euh...De la chose levée et surtout pourvue de doigts.

* Bon, ben si notre début de coopération résiste à ça, il résistera à tout. *

- Je ne m'engage pas dans une cause dont j'ignore toutes les modalités. Alors pour aujourd'hui, je ne m'engage qu'à débarquer chez vous, à vous laisser m'enseigner ce que vous savez * Et c'est reparti ! * sur la magie, et à être une hôte serviable et courtoise.

Sur ces clarifications * Ah, parce que c'était clair ? * Elryann prit la main de Rahinov et la serra.

" Et si pour une fois, vous arrêtiez de ne faire confiance à personne ? Ne pensez-vous pas que cela serait plus simple pour vous ? la plupart des gens sont bons en ce monde, sachez accorder de l'importance à cette bonté, car on vous rendra votre bienveillance et votre confiance. C'est la beauté de la réciprocité. "

Il était plutôt content qu'elle eu fait ce choix. En fait, c'est ce qu'il voulait. Il voyait son idéal, sa petite communauté, prendre forme peu à peu. Il avait des rêves épiques, le pontife, mais il n'était pas stupide. Si la menace à laquelle ils devront bientôt faire face est aussi importante que ce qu'il avait constaté dans le cimetière hanté, ou bien en face du simic, qui devait surement comploter quelque chose avec Momir Vig, alors il faudra bien une équipe soudée et forte. Et c'était ce que comptait réaliser l'Orzhov. Et comme dit l'adage : Plus on est de fous, plus on rit ! Sa décision à lui était déjà prise. La demoiselle allait constituer un atout, ainsi qu'une compagnie fort agréable, il avait tout intérêt à la garder avec lui.

" Pour ce qui est de votre apprentissage, prenez conscience que ce sera anecdotique, car, même si j'arrive à décharger mon travail sur mes subordonnés, il subsiste suffisamment de choses pour que je sois occupé assez souvent. Mais qu'importe, il est fort possible que vous n'arriviez pas à faire tout de suite ce que je vous demanderai. Aussi, je pense que vous apprendrez plus quand je ne serai pas là de part un entraînement assidu. Enfin bref. Personnellement, je vais rentrer. Me suivez-vous ?" fit-il avec un petit air semi-innocent.

Rahinov commença à rentrer chez lui, non sans reprendre la bouteille de whisky que la dame lui avait honteusement piqué. Il tâta encore une fois ce breuvage avec sa gorge, pour en tirer tout les plaisirs. Finalement, il y avait encore des choses qui lui donnait du plaisir. Et ce whisky avait le goût du whisky bien mérité. Un whisky de victoire.

" Ha, et pour ces histoires importantes, ne vous inquiétez pas. Certaines choses, tout aussi importantes à mes yeux, peuvent encore se faire sans l'aide d'autres personnes " finit-il en lâchant un clin d'oeil à Elryann.

Laconique, Elryann contempla ses ongles, non sans une certaine aristocratie.
S'il y avait bien un comportement qu'elle pouvait mimer, c'était le flegme arrogant de son milieu d'origine. Cela dit, ça ne durait jamais bien longtemps, et son naturel n'admettait qu'un verni de dédain artistiquement simulé.
Elle s'étira langoureusement, en émettant d'étranges petits sons qui pouvaient s'apparenter à des miaulements de chatons à l'agonie, et coula un regard mi-chafouin, mi-bienveillant au Pontife.

- Comme quoi, ça ne fait pas que du bien de patauger aussi longtemps dans la fatuité des boudoirs de l'Orzhova. On ne me courtise pas ainsi : on mène une véritable bataille visant à prouver que vous êtes meilleur compagnon nocturne que...moi-même. Par exemple, si vous aviez obtenu votre rang de pontife en vous agenouillant sous un certain nombre de bureaux féminins, je me serais sans doute rendue à l'évidence. Malheureusement pour vous, votre réputation est excellente en la matière : il paraît que vous êtes devenu Pontife aussi honnêtement que possible.

Les diverses promotions qu'impliquaient une telle ascension, et la dextérité qui s'ensuivait, laissèrent Elryann particulièrement rêveuse. Son rêve fut quelque peu gâché par l'agaçante bonne foi de son subconscient, qui lui imposa vertement l'image d'Ejö.

* Oui, mais c'est pas pareil. Pas du tout. *

Elle réfléchit rapidement. Pouvait-elle se permettre d'habiter chez le pontife et de s'engluer dans une histoire qui la dépassait de très loin ? La réponse était claire !

* Non ! Enfin, si. Quoique...Peut-être. Ben, non en fait. Mais si, à condition que...Oui, enfin non. Euh...Bref. *

- Votre amabilité dépasse l'entendement. Cela dit, j'ai peur d'abuser, gazouilla Elryann, qui avait trouvé un compromis acceptable, je ne saurais imposer ma présence chez vous ! Mais ne soyez pas confus ni vexé, j'ai bien réfléchi, j'accepte votre proposition de m'entraîner. C'est charmant de votre part, vraiment ! Disons, dans une semaine chez vous ?

Elryann lui accorda son sourire le plus joyeusement innocent et papillonna des cils, se préparant à prendre congé.

" Ho, honnêtement, je ne pourrais le dire. Teysa et moi n'avons dormi ensemble qu'une nuit, sans nous connaître. La veille, j'étais un mage, le lendemain, j'étais pontife. Je vous laisse donc imaginer ... "

Il sorti de son sac une bouteille dorée que Nodjun lui avait laissé avant de lui dire adieu. Il en but un peu afin de sortir de son état d'ivresse léger pour rentrer chez lui rapidement. Il se leva, rangea la bouteille, sortit un deuxième cigare qu'il alluma, et en prit une bouffée. Tendre saveur, si exotique et chaleureuse, que celle d'un bon cigare à peine séché. Il se concentra à nouveau sur le cas présent.

" Plus sérieusement, vous ne savez pas du tout comment je suis devenu pontife. Nous sommes trois à le savoir, sans compter l'obzedat. Il ne fait pas bon de s'intéresser sur la manière dont les haut-gradés ont eu leur pouvoir. Cela pourrait agacer certaines personnes influentes, qui pourraient facilement écarter les menaces qui pèsent sur leurs secrets ... Si vous voyez ce que je veux dire ...

Il se reprit. Il avait été sec et froid, et il s'en rendit compte un peu tard pour rattraper totalement les dégâts. Il tenta, néanmoins.

Excusez moi pour ce ton, mais vous m'avez rappelé une époque que je préférerai oublier... Ha, et ne pensez pas que ma proposition est si désintéressée que ça. Vous êtes quelqu'un de bon, alors si jamais j'ai besoin de votre aide, je vous serai gré de ne pas me laisser tomber. "

Et il s'en alla, marchant tranquillement, relativement lentement, d'ailleurs, la fumée de son cigare laissant comme une trace fantomatique derrière Rahinov. Il lâcha un " C'était sympa de vous rencontrer " alors qu'il continuait à marcher doucement.

Elryann se surprit à éclater de rire face à la répartie cynique de Rahinov, et le détailla encore davantage - peut-être qu'il valait le coup de perdre une soirée ?
Une certaine amertume entachait le cours de ces agréables pensées; entremêlées de visions à la fois superbes et mélancoliques.

Un bras féminin, blanc et comateux, reposait sur les plis écarlates de plusieurs draps en désordre. Au dessus du membre inerte, de longs cheveux châtains, tentaculaires, encadraient un visage pâle, aux joues curieusement rouges, dégageant la même chaleur que le reste de son corps, comme après un effort. Sa poitrine se soulevait rapidement et le flou qui baignait le regard de la femme se dissipa, cédant la place à une horreur muette, à une pudeur catastrophée. Un rire à la fois joyeux et terriblement sarcastique s'élevait, et la femme était tirée vers le haut du lit.

Un long frisson lui mordilla l'échine. Elle tenta de penser à autre chose, mais peine perdue, elle peina à se concentrer sur les paroles du Pontife. La panique forma une boule compacte au creux de son plexus, une boule qui enflait au fil de ses divagations involontaires. Il y avait trop de choses : des oeillades, des gestes, des insultes, autant d'agressions quotidiennes que subissaient toutes les femelles Ravnicanes, pourtant si mal acceptées par Elryann, prête à mordre pour être respectée. Les souvenirs affluaient.

...Le lit rouge était englouti de toutes parts sous des effusions de lierre et d'arums délicats, comme une grande flaque de sang au mileu de cette végétation dévorante. Le mot sang résonnait à l'infini, chargé de menaces, à l'image d'un elfe pris de démence, faisant craquer sous son talon les os d'un inconnu blessé...à l'image aussi des exécutions sommaires, à la périphérie des Quartiers Neutres, à l'image d'une justice absente...

A travers son voile d'anxiété, elle perçut le ton froid de Rahinov. Avait-elle été incorrecte ? Il était vrai qu'elle ne cessait de l'envoyer paître - il avait amplement payé son insolence. D'ailleurs, peut-être payait-il très cher d'autres affronts, pour en être réduit à errer dans les Quartiers Neutres, ivre et seul. Une onde de colère la transperça en songeant à ce qu'un Pontife avait le pouvoir d'accomplir. Des générations de pontifes obèses et corrumpus avaient comploté dans leur coin sans se préoccuper de leur peuple. Et si celui-là était différent ? S'il pouvait contribuer à la réforme structurelle des lois Ravnicanes, qui laissaient dans l'ombre des milions de pauvres hères qui ne pouvaient obtenir réparation des affronts commis ? Et si elle rencontrait des Azorius, en oubliant l'animosité que ces bureaucrates partiaux lui inspiraient ?
"Si vous voyez ce que je veux dire.."

* Oui, je vois ce que vous voulez dire. Tous autant que nous sommes, multitude crasseuse et grouillante, nous sommes foulés aux pieds d'une poignée d'opulents insectes. La rage qui nous vieillit ne sert à rien, sinon à nous figurer, à long terme, que notre passivité n'est qu'une forme de sagesse...Fous que nous sommes. *

Elryann, désarmée par ses pensées moroses et par le ton agressif de Rahinov, leva vers lui de grands yeux presque peinés. Elle n'avait pourtant fait que se défendre..? Pourquoi lui parlait-on ainsi ? De toutes petites larmes discrètes lui montèrent aux yeux, qu'elle perçut avec ahurissement. Il était temps de se calmer au lieu de jouer les midinettes émotives. Comment une telle cruche larmoyante pourrait-elle aider qui que ce soit si, à la moindre contrariété, elle se changeait en louveteau confus ? Elle déglutit laborieusement, rassurée par les excuses de Rahinov, sans pour autant se défaire de cette insupportable sensation d'oppression.
Alors qu'ils se quittaient, et que, sur un salut cordial d'une Elryann livide, il lâchait un nonchalant "C'était sympa de vous rencontrer", elle remonta le cours de ses réflexions et fit marche arrière.

* Non mais, ça va pas ? J'te savais déglinguée mais à ce point, c'est préoccupant. Tu attends quoi, que ton subconscient te délivre une autorisation signée en trois exemplaires ? *

Elle s'ébouriffa les cheveux en soupirant : c'était vrai. Sa culpabilité reflua, laissant enfin place à sa vitalité, qui dégagea promptement et avec un redoutable bon sens toutes les pensées sinistres qui parasitaient la bonne humeur de la Sans-guilde, et entravaient ses réflexions. Toujours faire ce dont on a envie si cela ne nuit à personne. Elle leva les yeux au ciel devant sa propre mièvrerie, et, saisissant les pans de sa jupe d'une main, elle rattrapa Rahinov, lui saisit fermement la manche et le kidnappa en bonne et due forme. Et il avait intérêt à prouver ses dires au sujet de Teysa, sinon, pour le coup, sa réputation en pâtirait, foi d'Elryann !